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saints du dernier jour dans la plus pacifique fraternité, et s’ils exercent encore quelquefois leurs talens pour l’embuscade et le massacre, c’est au profit du peuple gouverné par Brigham Young, lequel paraît les avoir employés maintes fois sans scrupules comme éclaireurs ou gardiens de sa frontière. Beaucoup ont été baptisés, et ceux qui ne l’ont pas été vivent sans difficulté selon les principes du mormonisme. Que voulez-vous ? Brigham Young leur dit qu’ils sont un peuple sacré, les débris des tribus d’un Israël séparé et errant réfugié en Amérique, les dépositaires de la révélation que le grand-esprit avait réservée au Nouveau-Monde, qu’ils se relèveront de leur état d’abaissement et qu’ils sont prédestinés au plus glorieux avenir ; et ils ont compris avec tout autant de promptitude qu’un prolétaire français comprend un candidat au suffrage universel qui lui déclare qu’il est le roi du monde. Ces mormons, loin de les mépriser, se présentent presque humblement devant eux comme les disciples de leurs pères, comme les sauveurs de la foi qui devait leur être transmise ; ce sont donc eux qui auraient presque le droit de regarder leurs frères blancs avec orgueil et insolence. Apôtres et missionnaires mormons n’ont pas dédaigné de prendre souvent des femmes parmi leurs squaws. Les mormons ne leur reprochent ni leur polygamie, puisqu’ils la pratiquent eux-mêmes, ni leur communisme, puisque Brigham Young le recommande à ses disciples comme le degré le plus élevé de la perfection, et qu’il a créé tout exprès pour stimuler leur zèle à cet égard une sorte d’ordre religieux. Tous ceux qui consentent à se dépouiller entièrement de leurs biens au profit de la communauté sont déclarés enfans d’Hénoch. En dépit de cette séduisante amorce, les mormons riches se sont montrés peu ambitieux de cette dignité, que les Indiens convertis au contraire ont recherchée avec empressement. Chose curieuse et bien propre à faire réfléchir ; jusqu’à ce jour, trois entreprises seulement ont réussi avec les Indiens : celle des franciscains en Californie, celle des jésuites au Paraguay et celle des mormons dans l’Utah. L’esprit religieux serait-il donc par hasard l’unique méthode à employer pour inspirer aux Indiens la honte de leur état sauvage, et les amener à vivre avec les blancs sans hostilité ?

Le gouvernement des États-Unis n’a pas malheureusement de telles méthodes à sa disposition ; il n’a que des moyens de guerre et d’extermination, moyens fort efficaces, mais qu’il n’est pas toujours facile d’employer, outre qu’ils ont quelque chose d’odieux. On a senti qu’il fallait en trouver d’autres, et sous la présente présidence du général Grant, l’on a imaginé un plan qui ne manque pas d’une certaine hypocrisie et qui, s’il est réalisé, débarrassera l’Union de ses Indiens plus vite que ne le pourraient faire pendant des