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conditions du travail en Amérique, et cependant ce n’est là que le moindre danger. A leur nombre, ces enfans de la race jaune unissent des qualités multiples qui en font pour les travailleurs de la race blanche, et aussi de la race noire, les concurrens les plus redoutables.

Le nègre ne peut vivre et travailler que dans ses régions favorisées du sud, le Chinois peut vivre et prospérer sous tous les climats, et dans les plus affreux déserts comme dans les contrées les plus heureuses. L’homme de race blanche ne peut faire qu’un seul métier et dégénère lorsqu’il passe de la profession dans laquelle il a été élevé à un travail inférieur ; l’homme de race jaune peut faire tous les métiers sans craindre de déroger. Il se charge du travail le plus accablant comme du travail le plus féminin ; il est mineur, agriculteur, portefaix, blanchisseur, cuisinier, repasseuse et bonne d’enfans à volonté. Le travailleur américain est un terrible consommateur : il lui faut du bœuf et de la bière, du porc et du whiskey, son salaire doit donc être fort élevé. Le travailleur chinois vit de quelques cuillerées de riz et d’un peu de thé, son salaire peut donc être infime. Ajoutez que le Chinois, habitué à l’oppression asiatique et doué de cette patience morne qui caractérise les peuples des vieilles civilisations, est un serviteur plus agréable que l’Irlandais, l’Allemand ou l’Américain. Il ne s’enivre pas comme l’Irlandais ou l’Allemand, il n’a pas de prétentions d’homme libre comme l’Américain, l’esprit d’égalité ne lui souffle aucune insolence, il n’a pas d’exigences contrariantes ; on peut le réprimander, l’invectiver et même le battre sans que son impassibilité se démente un instant. Voilà bien des mérites ; le plus important cependant reste à mentionner, ce singulier talent d’imitation qui lui permet en peu de temps d’exceller dans les arts les plus délicats et les plus difficiles. M. Dixon cite de cette aptitude nombre de curieux exemples. Ho-ling, blanchisseur et repasseur chinois à San-José en Californie, ayant économisé quelque argent, éprouve le besoin de faire agrandir son établissement. Il appelle un charpentier américain et lui demande à quel prix lui reviendra la construction de dix hangars en bois. — A cent dollars, répond l’Américain. — Cent dollars, beaucoup d’argent, dix dollars pièce ; enfin faites, faites. — L’Américain se met à l’ouvrage, et aussitôt arrivent, débarqués par le chemin de fer, sept Chinois mandés pour la circonstance par Ho-ling, qui viennent assister en spectateurs au travail du charpentier. Ils le regardent planter ses poteaux, introduire ses tenons dans ses mortaises, poser ses traverses, clouer ses planches, puis, dès que le premier hangar est terminé, Ho-ling le congédie en lui payant les dix dollars. — Moi pas avoir besoin d’autre maison, moi faire tout seul, moi faire tout seul. — Yin-yung est le meilleur bottier de San-Francisco, et