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traîné dans cette région par l’ardeur d’une convoitise chauffée à blanc, l’Américain de l’Union sentit que, pour réaliser les rêves de lucre que la découverte des mines avait éveillés en lui, il devait doubler et tripler ses qualités et ses défauts qui, aux yeux d’un Européen, sont déjà excessifs. Pour cela il fallut un effort ; c’est cet effort répété et soutenu pendant de longues années qui a produit cette exagération d’activité et cette emphase de mœurs qui ont frappé M. Dixon. « Le pouls de cette société, dit-il, bat trop fort pour des hommes ordinaires et des temps ordinaires. » C’est que ce qui est l’exceptionnel pour les autres peuples a été l’ordinaire pour celui-là. Depuis vingt ans son existence n’a été qu’une crise longue et continue. La roue de la fortune est en tous lieux bien rapide, mais en Californie son mouvement a été d’une vitesse vertigineuse. Ces gens de la baie de San-Francisco ont connu tant de vicissitudes, ils ont été si souvent ruinés, si souvent enrichis, que leurs manières ont du nécessairement se ressentir des émotions produites par ces alternatives. Ce n’est jamais froidement qu’on accepte d’être élevé soudainement à la richesse ou précipité soudainement dans la ruine ; quelque insolence de joie dans le premier cas, quelque emphase de désespoir dans le second, sont bien permis à ceux que visite l’une ou l’autre fortune. De pareilles émotions entraînent nécessairement un ton plus haut que le ton ordinaire, et si elles se répètent trop fréquemment, ce ton passera en habitude. Voilà peut-être pourquoi M. Dixon a pu remarquer « qu’en Californie un acteur déclame, un prédicateur rugit, un chanteur crie. »

Toutes les qualités et tous les défauts de l’Américain sont donc portés au comble par la vie californienne, qui n’est qu’un jeu effréné où chacun risque son tout chaque jour. L’activité américaine est connue ; voici le dimanche d’un grand financier de San-Francisco : « A quatre heures du matin, il est sur pied, consultant ses grooms, trottant dans ses bois, visitant ses fermes et ses ouvrages d’eaux. A dix heures, nous le voyons une minute au moment où nous rompons le jeûne ; à une heure, il nous place dans une carriole et nous donne congé ; à trois heures, nous le rencontrons sur une colline au-dessus de San-Mateo, où il fait endiguer une crique et bâtir une ville ; à cinq heures, son dimanche terminé, il grimpe dans le train et se rend en toute hâte à son office à San-Francisco, après avoir fait en vingt-quatre heures l’ouvrage d’une semaine. » Quelque prodigieuse que soit cette activité, ce n’est cependant pas d’ordinaire au profit du travail régulier que le Californien aime à la dépenser ; c’est pour courir après le hasard qu’il se presse, c’est pour épier, découvrir ou saisir l’occasion qu’il s’agite. De cette poursuite de l’inconnu naît une sorte de vie imaginative pleine d’inquiétude et de crédulité. Le blanc Californien va jouer sa fortune sur un bruit