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« l’état ne fait rien pour eux, et le vigoureux colon, dans son désir de sécurité, les chasse loin de son chemin aussi brutalement qu’il en éloigne les loups et les ours. » Ce résultat n’a rien qui soit fait pour étonner, et ce qu’il y a de cruel, c’est qu’il est absolument irrémédiable. Parlons sans hypocrisie, et reconnaissons qu’il y a là une tâche pour laquelle nos sociétés modernes n’ont pas d’instrumens. Introduire des sauvages dans la civilisation est une œuvre de dévoûment, et cette œuvre, un corps comme les franciscains peut la tenter, parce que le dévoûment est son principe et son but mêmes ; mais qui donc, je le demande, a dans nos sociétés laïques le temps et le devoir de se dévouer à des sauvages, et à supposer qu’il se rencontre çà et là quelque excentrique d’un grand et bon cœur qu’une pareille entreprise tente, à quoi des efforts isolés peuvent-ils aboutir ? Chose curieuse, les Indiens ne s’y sont pas trompés ; ils ont compris qu’ils avaient perdu pour jamais leurs véritables protecteurs, et c’est là le sentiment qui ramène chaque année les derniers de ces convertis auprès de leur église abandonnée de San-Carlos pour y regretter devant l’image de Notre-Dame du Carmel le temps où ils étaient esclaves et heureux.

Ces Indiens, ai-je dit, ont perdu pour jamais leurs véritables protecteurs. Eh ! mon Dieu oui, car le catholicisme lui-même, emporté qu’il est par le mouvement du siècle, n’a plus le temps de s’occuper d’eux. Les jésuites ont remplacé les franciscains à Santa-Clara, mais c’est à une toute autre tâche que les nécessités du temps leur ordonnent de s’appliquer. Cette tâche est une œuvre d’éducation. Ils ont à conserver le plus grand nombre possible de fidèles à l’église catholique dans cette Californie où le catholicisme régnait naguère en souverain, et où il est aujourd’hui en minorité, noyé comme la population d’origine mexicaine sous les flots des populations venues du nord et des émigrans venus principalement des états protestans de l’Europe. Cette tâche de l’éducation, les jésuites ont à l’accomplir en Californie dans les conditions les plus désavantageuses : par exemple, les écoles protestantes peuvent facilement recruter leurs professeurs parmi les citoyens mêmes des États-Unis ou parmi des hommes d’origine anglaise ; les jésuites sont obligés de prendre les leurs dans toutes les régions du monde. Aucun de ces professeurs n’est d’origine mexicaine ou même espagnole, circonstance des plus défavorables pour prendre ou garder influence sur des populations aussi susceptibles à l’égard de toute autorité étrangère que les populations de sang espagnol. Et puis les jésuites sont seuls, tandis que leurs rivaux s’appellent légion. « Les catholiques ont une école à San-José, une seconde à San-Francisco, mais les non-catholiques ont cinquante écoles dans ces grandes villes. Les jésuites élèvent 600 enfans dans ces écoles ; leurs rivaux