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De ces trois races, la première est irréconciliablement ennemie, la seconde, est en hostilité permanente contre ses anciens maîtres, la troisième est déjà une rivale sérieuse pour les travailleurs de l’Union. L’émancipation a-livré le sud à la race noire, l’émigration chinoise livre de plus en plus la Californie et les territoires de l’ouest à la race jaune ; quant à la race rouge, quoique bien diminuée en nombre, elle est peut-être plus embarrassante aujourd’hui qu’à l’époque où elle était plus proche voisine de la civilisation, car on a atteinte peu près maintenant les limites du désert, et il devient impossible de la pousser plus loin. Remarquez enfin que ces différences de races ne sont plus des différences toutes morales ; comme celles qui séparent un Irlandais d’un Anglais, un Celte d’un Germain ; ce sont des différences organiques, physiologiques, des différences de structure, de couleur et de sang, les plus profondes que la nature ait creusées pour séparer les fils de la terre. Aucune fusion n’est donc possible entre elles, et s’il s’en opérait jamais quelqu’une, ce ne serait qu’au détriment de la plus noble et de la plus civilisée. La race blanche, si elle n’y prend garde, peut, dans un avenir qui n’est peut-être pas très éloigné, se trouver cernée et envahie par ces fourmilières noires et jaunes à un tel degré qu’elle se voie obligée, pour sauver son existence, de sacrifier sa liberté.

C’est peut-être en Californie, où M. Dixon nous conduit d’abord, que ce struggle for life se présente avec l’énergie la plus homicide. Là, les races, poussées par le besoin de se supplanter les unes les autres, s’effacent successivement, les Indiens devant les Mexicains, les Mexicains et les métis devant les Anglo-Américains, et voici que maintenant les en fan s de la race mongolique, pacifiques envahisseurs, forts par le nombre, sinon par l’audace, serrent et gênent ces vainqueurs des trois autres races. C’est l’extermination sans guerre, sans lutte, presque sans bruit. Une race faible disparaît devant une plus forte, comme un arbuste périt sous l’ombrage d’un grand arbre ; cette race victorieuse périt à son tour sous une plus vigoureuse, et lorsqu’enfin il semble que la victoire reste définitivement à cette dernière, des nuées de sauterelles s’abattent sur ses moissons et dévastent ses enclos.

Hepvrorth Dixon est un artiste au moins autant qu’un observateur philosophe, et l’on s’en aperçoit dès les premiers chapitres de son livre, qui s’ouvre d’une manière charmante par la description de San-Carlos sur la côte de Californie. Une solitude pleine de fraîcheur et de luxuriante végétation, proche voisine de l’océan, et dans cette solitude une église abandonnée, reprise miette à miette par la nature, voilà le tableau. Cependant cette église conserve encore un fidèle : un chef sauvage centenaire, imitateur sans le savoir du vieux Mortality de Walter Scott, vient une fois chaque année