Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/779

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aspect imposant, ne le recommandèrent pas seuls au choix du conseil. On le citait pour son extrême vaillance et pour son habileté à la guerre. Après le général, rien n’était plus urgent que de trouver le pilote. Un jeune seigneur qu’affectionnait particulièrement Edouard VI, gentilhomme fortuné dont la faveur devait se continuer sous trois règnes, Henry Sidney, se chargea de procurer à la compagnie l’homme de mer en qui devait reposer le principal espoir du succès. A l’exemple des sénateurs romains, tout grand seigneur anglais se faisait gloire alors d’entretenir de nombreux cliens. Il n’était guère de comte ou de baron qui, des bribes de sa table, des libéralités de sa bourse, ne nourrît, en même temps que le cortège armé qui l’accompagnait en tous lieux, des poètes et des savans que l’aumône faisait vivre, inspirait souvent et n’humiliait pas. Dans la clientèle qu’Henry Sidney couvrait de son patronage se rencontra, par la plus heureuse des coïncidences, un pilote. Sidney l’amena devant le conseil. « Mes dignes amis, dit-il à l’assemblée de marchands qui l’écoutait avec une respectueuse déférence, je ne puis qu’approuver votre honorable projet. J’en attends un grand profit pour notre nation, un immortel honneur pour notre pays. La noblesse est toute disposée à vous seconder. Elle ne possède rien de si précieux qu’elle ne soit prête à le mettre au service d’une semblable cause. Pour moi, je me réjouis de pouvoir lui consacrer la haute intelligence dont jusqu’à cette heure j’ai pris soin. Voici l’homme qui me semble, sous tous les rapports, le plus capable d’aider à l’accomplissement de votre entreprise. Quand je me montre ainsi disposé à me séparer de Richard Chancelor, gardez-vous de penser que je ne l’apprécie pas à sa juste valeur ou que son entretien me soit devenu à charge ; jugez au contraire par ce sacrifice jusqu’où peut aller pour vous mon bon vouloir. » La délibération fut courte : la réputation de Chancelor était faite depuis longtemps ; le conseil à l’unanimité lui déféra les fonctions de pilote-major. « Vous connaissiez l’homme par son beau renom, ajouta Sydney ; moi, je le connais pour avoir éprouvé son savoir. Maintenant n’oubliez pas à combien de périls il va s’exposer pour vous. Nous risquons dans cette aventure quelque argent, Chancelor y jouera sa vie, c’est-à-dire ce que tout être humain a de plus cher. Pendant que nous serons ici, tranquilles, n’ayant autour de nous que des visages amis, il vivra au milieu de matelots grossiers et turbulens qu’il lui faudra sans cesse maintenir dans le devoir, ramener à l’obéissance. Nous continuerons d’habiter l’Angleterre, Chancelor ira visiter des royaumes inconnus, se livrer à la foi de peuples sauvages, affronter les monstrueux et terribles habitans des mers. Vous devez donc considérer à la fois la gravité des fonctions qu’il accepte et l’étendue des hasards qu’il encourt. Si le ciel vous le rend après un