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assez hardis pour se charger d’aller vérifier sur les lieux l’une et l’autre hypothèse.


III

Nous voici revenus par un long détour à l’âge héroïque où les navigateurs plongeaient dans l’inconnu, et devaient jouer leur vie sur un simple pressentiment scientifique. Certes on ne saurait faire à ces imaginations en travail le reproche d’avoir, par leurs ingénieuses fantaisies, atténué ou dissimulé les obstacles ; leur tendance habituelle nous paraît avoir été, au contraire, de les exagérer ; en retour, il se trouvait alors des hommes dont l’audace se laissait tenter par les difficultés mêmes que l’amour du merveilleux lui opposait. Ce qui suspendit pendant cinq années l’exécution des projets de Sébastien Cabot, ce ne fut pas l’embarras de trouver des marins disposés à courir l’intrépide aventure que ruminait depuis une dizaine d’années son esprit, ce fut l’état troublé du royaume. Le 20 mars 1549, le grand-amiral d’Angleterre portait sa tête sur l’échafaud ; le 22 décembre 1551, le lord-protecteur était à son tour décapité à Tower-hill. Toute cette agitation, aggravée par « la malice des Écossais, des Français et de l’évêque de Rome, » était peu favorable aux visées pacifiques d’un pilote-major. Les choses parurent prendre une meilleure tournure quand la tutelle politique d’Édouard VI eut passé aux mains de lord Dudley, comte de Northumberland. Une souscription publique fut alors ouverte ; bien que le montant de chaque souscription individuelle ne dût pas dépasser 25 livres sterling, la somme de 5,000 livres se trouva en très peu de temps rassemblée. Les souscripteurs avaient élu un conseil composé « de personnes graves et prudentes ; » ce conseil nomma Sébastien Cabot « gouverneur de la mystérieuse compagnie des marchands aventuriers pour la découverte des régions, domaines, îles et lieux inconnus. » Cabot s’occupa immédiatement de prendre les dispositions nécessaires pour qu’on pût, dès le printemps prochain, « aller à la recherche des parties septentrionales du globe. » On acheta d’abord trois navires, et ces navires ne furent pas seulement soigneusement réparés ; ils furent reconstruits en partie[1]. La foi dans le succès était telle, que ce ne fut pas contre la pression ou contre le choc des glaces qu’où se mit avant tout en devoir de les prémunir, on se préoccupa d’abord du ravage des tarets. Christophe Colomb se plaignait de trouver ses carènes, après un long séjour

  1. Ni les caravelles de Christophe Colomb, ni celles de Vasco de Gama n’avaient eu des dimensions inférieures à celles des trois « shippes » de la Tamise. La Bona-Esperanza était un navire de 120 tonneaux, l’Edouard-Bonaventure en jaugeait 160, la Dona-Confidentia 90.