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dont il eût fait preuve aurait pu ébranler la confiance des navigateurs qu’il voulait convertir, à son grand projet. Assez de dangers certains, incontestables, se trouvaient malheureusement accumulés sur la route, sans qu’il fût besoin d’y ajouter les fantômes évoqués peut-être par une imagination en délire. Dans l’Océan scythique, aussi bien que dans la Mer-d’Islande, on devait s’attendre à rencontrer ces terribles murènes, ces serpens gigantesques qu’on a vus si souvent attaquer les navires, pour y dévorer « matelots et capitaines. » En avançant, on trouverait, sur le revers des monts hyperboréens, une nation tout à fait sauvage. Ces hommes ne connaissent ni le pain, ni le vin ; ils sont venus à bout d’apprivoiser des cerfs, et, cavaliers étranges, ont pris l’habitude de les monter. Ils sont sans cesse en guerre avec un autre peuple qui habite plus au nord et qu’on nomme les Nocturnes. Véritables enfans des ténèbres, les Nocturnes peuvent vaquer de nuit à leurs affaires, ou publiques, ou privées, avec autant d’aisance que nous en trouvons à nous occuper des nôtres à la lumière du jour. Il a bien fallu qu’il en fût ainsi, car dans ces régions boréales les jours, du 14 septembre au 10 mars, sont si courts, qu’il n’y a pas une heure de clarté. La nation des Nocturnes est méchante et voleuse. Aucun navire n’ose aborder la côte où elle a fixé sa résidence ; les équipages Y seraient à l’instant pillés ou massacrés.

Le voyageur qui poursuivra sa route vers le sud-est, le long des rivages de la Tartarie, ne tardera pas à se trouver en présence d’êtres monstrueux, non moins à redouter que les Nocturnes. Les uns ont tout le corps d’une personne humaine, mais leur tête ressemble à celle d’un porc, et leur langage n’est que le grognement d’un pourceau ; d’autres se montrent avec des oreilles qui leur descendent jusqu’à la ceinture.

Plus loin, vers l’Orient, vivent des peuples dont les genoux et les pieds sont dépourvus d’articulations. Les Sylvestres occupent, dans la province de Balar, longue de cinquante journées de marche, des forêts et des monts d’où jamais ils n’ont consenti à sortir. Plus loin encore, et toujours plus à l’est, sont agenouillés les adorateurs du soleil. Toutes ces tribus diverses, toutes ces races étranges reconnaissent la domination du grand-khan. Il en est dont le culte et les hommages s’adressent à un simple morceau de drap rouge attaché au bout d’une lance ; quelques-uns se prosternent devant le premier objet qui, au moment où le jour se lève, a frappé leurs regards. En somme, chez les Tartares, chacun paraît adorer ce qui lui convient. Leur empereur, le grand-khan, est un très grand et très puissant monarque ; il s’intitule le roi des rois et le seigneur des seigneurs. Il a coutume de donner à ses barons un costume