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700 lieues, et le 24 juin 1494, à cinq heures du matin, il recueillit le prix de sa persévérance. La terre que son fils devait désigner cinquante ans plus tard sous le nom de Tierra de los Buccalaos venait de surgir à l’horizon. Dans un second voyage, le chevalier vénitien dépassa cette terre de Prima-Vista ; il alla jusqu’au continent. Cabot avait probablement retrouvé le Vinland des anciens Scandinaves, mais, comme Christophe Colomb, il s’imaginait avoir abordé au Cathay. Les Anglais, auxquels il montrait vers la fin du mois d’août 1497, non pas des perroquets, des Indiens et des palmes vertes, mais des pièges tendus pour prendre le gibier et une navette propre à confectionner des filets, le crurent aisément sur parole. Les Espagnols n’étaient donc plus les seuls qui se pussent vanter d’avoir atteint l’Orient par l’Occident ! L’enthousiasme populaire fut immense. On vit les habitans de Londres « courir après Jean Cabot comme des fous » et le saluer du nom de grand-amiral. « Vêtu de soie et gratifié sur la cassette royale d’une première libéralité de 10 livres sterling, » l’heureux aventurier savourait son triomphe. Tout à coup sa figure s’efface ; son nom, que répétaient toutes les correspondances, n’éveille plus d’échos. Le chevalier génois a disparu subitement de la scène. Son second fils, Sébastien, heureusement l’y remplace. La science cosmographique ainsi que le commerce étaient chez ces Lombards, rivaux et successeurs du juif industrieux, une tradition de famille et jusqu’à un certain point un art héréditaire. Devenu chef d’expédition à son tour, Sébastien Cabot se prépare à traverser de nouveau l’Atlantique.

Le roi Henry VII lui a fourni six navires d’environ 200 tonneaux de jauge ; il a fait plus, il lui a ouvert ses prisons. Sébastien Cabot peut y enrôler autant de bandits qu’il lui convient. La campagne de 1497 s’était faite sur une chétive barque montée par 18 hommes ; elle avait réussi au-delà de toute espérance. Jean Cabot, dans le court espace de deux mois, reconnut près de 300 lieues de côtes. En dépit de ses vastes préparatifs, la campagne de 14A98 fut beaucup moins heureuse. La moitié des équipages succomba aux fatigues et aux privations du voyage. Pour prix du généreux concours qu’Henry VII lui avait prêté, que pouvait offrir Sébastien Cabot à ce souverain, qui espéra un instant devancer à la cour du grand-khan Ferdinand le Catholique et Emmanuel le Fortuné ? Il pouvait lui offrir l’éclaircissement d’un point resté jusque-là douteux. Les profils de l’entreprise se chiffraient par la perte d’une illusion. Pas plus que les Espagnols, les Anglais n’avaient à aucune époque foulé les lointaines contrées décrites par Marco-Polo. La terre sur laquelle en 1497 Jean Cabot avait débarqué ne conduisait ni à Quinsaï ni à Khaabalich ; elle était au contraire, selon toute apparence, une barrière interposée entre l’Europe occidentale et l’orient de l’Asie. Ce