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soutenir que dans un délai de dix ans l’éducation de toutes celles de nos industries qui ont de la force vitale ne sera pas finie ?

Espérons que l’autorité de M. Thiers, qui ne désavouerait pas aujourd’hui ses paroles de 1834, ramènera les protectionistes et leur fera comprendre que la seule issue à la situation présente est de se rallier à la fixation d’un délai après lequel la France aurait un tarif semblable à celui de l’Angleterre. Il est vraisemblable que toute l’Europe à peu près, si la France en donnait le signal, accepterait cette proposition. Les dix années, en supposant que ce fût le terme adopté, seraient consacrées, dans le sein de chaque nation, à des améliorations de nature à rendre l’exercice des diverses industries plus facile et plus fructueux. Ces améliorations porteraient principalement sur les diverses voies de communication, les institutions de crédit, les écoles de toute espèce.

Les républicains comprendront, on doit le croire, que ce qu’il y a de mieux pour fonder la république est de lui donner le mérite d’un nouvel état de choses plus favorable au développement de la prospérité générale que tout ce qui a précédé depuis soixante ans. Ceux qui pensent que le moyen d’enraciner la république dans le sol français consiste à légiférer sur les maires et à faire un branle-bas dans les préfectures et les sous-préfectures, sont dupes d’un mirage dangereux. On ne fera pas dans la population un partisan de plus à la république par la nouvelle loi sur les maires ; il y a plutôt à parier qu’on lui en fera perdre un certain nombre. On ne lui en a pas acquis un seul par la danse macabre des préfets et sous-préfets. On en aura fait des millions au bout de quelques années, si l’on a assez de force et de mesure, de résolution et d’esprit de conduite pour opérer dans sa plénitude la réforme de la politique commerciale de la France.

Nous sommes loin de prétendre que cette réforme soit une panacée qui guérirait la France de tous ses maux, et spécialement du plus inquiétant, l’incertitude de l’avenir. Nous ne disons pas qu’elle suffirait à convertir à la république, dès aujourd’hui, les hommes au gré desquels la société est moins à la merci des hasards et plus ferme sur sa base quand elle est sous les auspices de la monarchie constitutionnelle. Cependant après un peu de temps, la réforme commerciale, exécutée avec un juste mélange de fermeté et de sagesse, ferait entrer dans l’esprit de ces hommes, parmi lesquels il y en a tant de considérables, l’opinion à laquelle ils ont résisté jusqu’à ce jour : que la république n’est pas impuissante par nature, excepté pour démolir et renverser ; qu’elle peut être un grand gouvernement menant à bonne fin par des voies régulières de vastes et fécondes entreprises intérieures.


MICHEL CHEVALIER.