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filatures s’érigent en Alsace et d’autres s’y agrandissent. Il est bien difficile de croire que, si les filatures de la Normandie et de la Flandre, qui en 1870 allaient de pair avec celles de l’Alsace, étaient placées, par l’abaissement de nos droits sur les filés, dans les mêmes conditions que celles-ci, elles ne se tireraient pas aussi bien d’affaire.


Tout nous amène donc à cette conclusion, que le régime protectioniste, condamné par les principes de la science et par ceux de la politique, et non moins réprouvé par l’expérience, ne peut plus subsister chez nous que par tolérance. Celle-ci, coûtant cher, ne saurait plus durer longtemps sans engager gravement la responsabilité des pouvoirs publics. Il y a lieu dès à présent d’y assigner un terme. Bien des fois plusieurs des plus importantes parmi les industries protégées ont déclaré, dans les enquêtes sur le régime commercial, qu’il ne leur fallait plus qu’un nombre d’années limité, cinq ans, dix ans au plus, pour être en état de lutter contre la concurrence étrangère. Pourquoi ne pas leur appliquer cette règle posée ou admise par elles-mêmes ? Avons-nous quelque intérêt à nous attarder dans le recouvrement des pertes que nous ont infligées les événemens ? En avons-nous quelqu’un à ce que le développement de là richesse soit plus difficile et plus lent chez nous que chez nos rivaux ? Ou bien trouve-t-on que le contribuable français n’est pas assez chargé par les impôts qu’il paie à l’état, au département et à la commune, et juge-t-on utile et politique d’éterniser d’autres contributions qui le grèvent et qui sont repoussées par le droit public moderne ?

À cette occasion, et à l’appui de ce que nous disons de la convenance de faire disparaître, dans le délai d’une dizaine d’années, les taxes résultant du système protectioniste, nous reproduirons ici un passage, rappelé dernièrement par M. Amé dans sa belle et bonne publication sur les douanes, d’un exposé des motifs signé de M. Thiers, aujourd’hui l’oracle des protectionistes, à une époque qui n’est pas celle où il y a eu le moins de lustre autour de son nom, en 1834. C’est la condamnation sans réserve de la prolongation indéfinie du système dit protecteur :

« Employé comme représailles, disait-il, le système restrictif est funeste ; comme faveur, il est abusif ; comme encouragement à une industrie exotique qui n’est pas importable, il est impuissant et inutile. Employé pour protéger un produit qui a chance de réussir, il est bon, mais il est bon temporairement ; il doit finir quand l’éducation de l’industrie est finie, quand elle est adulte. » Qui voudrait