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Sans doute il y a des intérêts engagés qu’il convient de ménager. Il y a des établissemens, quelques-uns considérables, qui ne sont pas encore à la hauteur de leurs émules d’Angleterre, d’Allemagne ou de Suisse. Faut-il, par l’application soudaine du principe de la nouvelle politique commerciale, les obliger du jour au lendemain à cesser leurs opérations ? L’objection est sérieuse et mérite d’être prise en considération. Les changemens brusques ont de graves inconvéniens. On enseigne dans la mécanique rationnelle que les chocs déterminent nécessairement une perte de force vive. Ce théorème des mathématiques est aussi bien à sa place dans l’administration des états et la gestion des intérêts de la société ; mais devra-t-on conclure de là à l’immobilité des règlemens auxquels sont soumises les opérations de l’industrie et du commerce, ou à l’adoption par les pouvoirs de l’état d’allures très lentes, avec lesquelles nous serions certains de rester en arrière des autres peuples dans le développement des ressources de la société ? Si parmi les règlemens existans il en est de manifestement contraires à l’équité, de vexatoires pour un grand nombre d’intérêts respectables, de préjudiciables à l’intérêt général, faudra-t-il les perpétuer ou ne les. changer qu’avec une lenteur infinie ? S’il est démontré qu’un certain nombre de manufacturiers ne sont arriérés que faute d’être suffisamment stimulés par la concurrence étrangère, sera-ce réellement de la prudence que de maintenir longtemps les dispositions du tarif des douanes qui protègent leur inertie ? Si quelques établissemens ne peuvent rester debout qu’autant qu’ils seront soutenus par des redevances, faudra-t-il laisser indéfiniment à la charge de la société ces tributs injustifiables ? Érigera-t-on en principe que la société doit des subventions à des manufactures si mai situées que le succès en soit impossible ? Ne serait-ce pas reconnaître comme une vérité, au profit d’une catégorie d’établissemens, le sophisme du droit au travail, contre lequel chez nous tous les bons esprits sont unanimes ?

Transiger est la meilleure manière de terminer ou d’apaiser des discussions qui sont vives et dans lesquelles des intérêts importans ou puissans sont en question. Le traité de commerce de 1860 fut une transaction dans laquelle l’esprit d’innovation dut se montrer fort timide, parce qu’on se risquait sur un terrain où la France était inexpérimentée, et où, sauf l’Angleterre, les autres peuples ne fournissaient guère que des indications insuffisantes ou nulles. Aujourd’hui que les circonstances ont grandement changé et que les faits ont parlé avec force, il y a lieu à une nouvelle transaction sur des bases très différentes de celles de 1860 entre les mêmes parties contractantes, les partisans de la liberté du commerce et leurs adversaires. La seule admissible, c’est d’accorder à ces derniers le