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V. — ERREUR DE L’ECOLE PROTECTIONISTE AU SUJET DE L’INFLUENCE QUE L’IMPORTATION DES PRODUITS ETRANGERS EXERCE SUR LA PRODUCTION NATIONALE.

Il y a une autre manière de montrer à quel point le témoignage de l’expérience est prononcé en faveur du régime de la liberté commerciale. Ce serait de prendre les assertions des protectionistes, et de rechercher si elles ont été vérifiées par le fait. Malgré soi, on sera frappé des démentis éclatans que l’expérience a prodigués à ces prétendus axiomes et à ces prédictions promulguées avec assurance.

On se souvient des prophéties sinistres qui furent semées dans le public au moment de la signature du traité de commerce avec l’Angleterre. On a pu voir depuis si ce n’étaient pas de pures imaginations. Les industries qui devaient périr se sont portées à merveille par cette simple raison que, sous l’action du traité, les chefs d’industrie ont fait des efforts qui pour eux étaient des devoirs, et auxquels jusque-là ils s’étaient refusés. L’industrie-de Roubaix, par exemple, était, disait-on, vouée à l’anéantissement. Jamais Roubaix n’a prospéré autant que depuis le traité. Après les événemens de 1870-1871, le chef de l’état, ayant dit, dans un discours qui était un manifeste, que Roubaix était ruiné du fait du traité, s’attira du maire de la ville une épître qui établissait tout le contraire. Jamais la France n’a fabriqué autant de fer que depuis le traité qui devait être le tombeau de nos forges[1]. Le débordement croissant, depuis le traité, de nos exportations en articles manufacturés, est la réfutation absolue de tout ce qu’on avait avancé, au sujet des désastres que devait causer l’application, même fort mitigée, du principe de la liberté des échanges internationaux.

Une des erreurs familières aux protectionistes est de croire que la consommation d’un état en un objet quelconque est limitée à une sorte de quantité fixe, si bien que, si on laisse pénétrer une certaine masse de quelque marchandise que ce soit dans un pays, par cela même la production nationale est forcée de se restreindre, une partie des établissemens doit se fermer et une partie des ouvriers être congédiée. C’est une hypothèse fort hasardée. On pourrait, sans se tromper, soutenir que, dans presque tous les cas, elle est complètement chimérique. Voici en effet ce qui arrive et ce que l’expérience constate : lorsque des marchandises étrangères sont admises dans un pays, à la suite de l’abaissement des droits élevés

  1. En 1860, la France avait produit 532,000 tonnes de fer en barres ; en 1869, c’était 904,000. La France a perdu en 1870 la Lorraine, dont la production en fer est considérable : en 1872, elle n’a fait que 754,000 tonnes ; aujourd’hui elle a presque atteint la production de 1860.