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aux Belges. Vit-on jamais rien de plus inconvenant que le spectacle qu’il donna l’autre jour : un ambassadeur de France se rendant au lever du roi dans la voiture d’un chargé d’affaires hollandais ? Une lettre de la reine des Français vient de faire savoir que le roi Guillaume de Hollande appelait de tous ses vœux le retour de Talleyrand à Londres. C’est sans doute l’œuvre de Mme de Liéven et de Wellington ; ils savent tous les deux que Talleyrand traite les Hollandais comme ses meilleurs amis. »


Avez-vous remarqué cette façon de mettre en scène les plus hauts personnages, de deviner leurs secrètes pensées, de leur prêter des dialogues étranges ? Talleyrand a du dire : « Laissez-moi faire. » Louis-Philippe a du répondre : « Léopold me gêne, Casimir Perier me gêne, mais il n’importe, je me charge de l’un et de l’autre, agissez à votre guise, vous avez carte blanche. » C’est une nouvelle méthode historique inventée par Stockmar. Il en a plus d’une à son service ; avec la méthode par hypothèse, il y a la méthode des on dit, Stockmar écrit vers la même date : « Quelqu’un m’a donné l’assurance, voilà bien longtemps déjà, qu’il y avait un traité secret entre la France et la Hollande pour le partage de la Belgique, et que ce traité était l’œuvre de Talleyrand. » Notez bien, je vous prie, qu’à l’heure même où M. de Stockmar écrit de telles choses, au mois de juin et au mois de juillet 1832, l’indépendance de la Belgique est constituée, et qu’elle l’a été principalement par la France. Est-ce donc Casimir Perier qui, par sa politique libérale, a gêné le roi des Français et l’a empêché d’accomplir ses ténébreux desseins ? Hélas ! Casimir Perier, qui n’a jamais gêné que les hommes de désordre, vient de mourir le 16 mai. Est-ce encore Casimir Perier qui a forcé le roi Louis-Philippe de consolider la Belgique en mariant la princesse Louise au roi Léopold ? C’est quinze jours après la mort de Casimir Perier, du 20 mai au 2 juin 1832, qu’eut lieu à Compiègne l’entrevue des deux souverains et que le mariage fut décidé. Stockmar a raison de dire que Casimir Perier a contribué énergiquement à la création de la royauté belge ; il est bien mal inspiré quand il prétend lui faire honneur de tout pour en faire tort au roi. Les principaux actes, les actes décisifs en cette histoire, à part la campagne du mois d’août 1831, ont été résolus et accomplis après sa mort. C’est même là une source de réflexions douloureuses : ce grand citoyen qui, parmi tant de titres illustres, a eu la gloire de contribuer pour sa part à la constitution de la neutralité belge, n’a pu assister ni à l’entrevue de Compiègne, ni au mariage du roi Léopold et de la princesse Louise, ni à cette expédition du mois de décembre qui, par la prise d’Anvers, contraignit la Hollande à libérer définitivement la Belgique.

Quant à M. de Talleyrand, il est certain que le secret de sa