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leurs amis de la célèbre ligue de Manchester, il se dit dans son for intérieur qu’ils étaient dans le vrai en soutenant dans d’éloquentes prédications qu’il était indispensable d’abolir les restrictions imposées au pays, à son grand dommage, par le régime protectioniste. Parmi ces obstacles, à la prospérité publique, les uns, en entravant les libres opérations du commerce et dans certains cas l’exportation même[1], restreignaient le travail et déprimaient la main-d’œuvre, tandis que les autres, en empêchant l’importation dans le pays des principales denrées alimentaires, raréfiaient et enchérissaient les subsistances. Il s’appliqua donc à donner au travail et au commerce des facilités nouvelles en adoucissant et même en supprimant les droits de douanes sur les matières premières et sur un grand nombre de produits manufacturés, et fit voter des mesures propres à abaisser le prix des denrées alimentaires. C’est ainsi qu’il adoucit la législation douanière concernant les céréales, et qu’il abolit la prohibition sur le bétail en la remplaçant par des droits modérés. Il poursuivit son entreprise avec persévérance et résolution jusqu’à la session de 1846, qui s’ouvrit en février, et à ce moment, couronnant son œuvre, il proposa la suppression, après une transition de trois ans, des droits de douanes sur les céréales, avec un ensemble de dispositions qui diminuaient dans une forte proportion, quand elles ne les supprimaient pas, les droits de douane en vigueur pour un grand nombre d’articles manufacturés. Le grand événement fut qu’il rompit enfin, avec les protectionistes et se déclara converti au principe de la liberté du commerce. Il eut le bonheur de voir son programme tout entier adopté par le parlement. Immédiatement après cette insigne victoire, il quitta le pouvoir à la suite d’un vote que, par esprit de vengeance, ses anciens amis, tenaces dans leurs idées protectionistes, avaient machiné contre lui dans la chambre des communes ; mais l’affranchissement de l’industrie et du commerce était assuré. Le principe d’une politique commerciale nouvelle était proclamé, le tarif des douanes était transformé, et le soin de poursuivre cette œuvre salutaire et grande devait être confié à des continuateurs dignes de lui, qui l’ont poussée jusqu’au bout avec une persévérance et une fidélité que l’histoire n’oubliera pas de signaler à la postérité.

Disons maintenant ce qu’a été le pays au terme de cette grande entreprise. La comparaison avec la situation au point de départ est éminemment instructive. Depuis que la réforme est terminée, et même déjà quand elle était à moitié faite, on a pu constater en Angleterre une prospérité dont les classes ouvrières ont leur bonne

  1. L’exportation des machines était interdite.