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révision écrit dans la constitution parût mis en doute ; il n’avait pas assez tracé la limite entre les obligations naturellement contractées par les fonctionnaires et la liberté que gardent des membres du parlement, même de simples citoyens. Le nouveau ministre de l’intérieur, qui a eu déjà l’occasion de montrer sa valeur, qui a fait acte de netteté et de fermeté, M. de Marcère était peut-être, lui aussi, allé un peu loin avec ses révocations générales de maires, après tout régulièrement institués en vertu d’une loi qui n’est point encore modifiée. Il l’a reconnu lui-même, puisqu’il s’est vu obligé de rappeler à la régularité un des nouveaux préfets emporté par un excès de zèle. Toujours est-il que de là sont nées ces interpellations qui se sont produites dans la chambre des députés et au sénat. Que quelques maires de plus ou de moins soient changés, fussent-ils même changés un peu légèrement, par un abus de la victoire, ce n’est point à coup sûr bien grave. L’interpellation du sénat était plus sérieuse parce qu’elle portait sur une interprétation de la loi constitutionnelle, parce qu’elle touchait à une de ces questions qui ne sont jamais mieux en sûreté que dans le silence, qui ne se résolvent pratiquement que par la tolérance.

A quoi bon réveiller ces subtiles discussions sur des pointes d’aiguille, pour savoir si l’article de la révision peut permettre d’affaiblir l’autorité morale des institutions ou jusqu’à quel point un gouvernement peut traiter de factieuses les espérances des partis. Sans aucun doute on ne peut disputer à un gouvernement le droit de se considérer comme définitif, et aussi le droit de demander à ses fonctionnaires une complète fidélité : c’est son droit, c’est la condition de sa force morale. Évidemment aussi un ministre, sans manquer aux institutions qu’il sert, « le devoir de respecter » des espérances ou des regrets qui ne sont pas des conspirations ; » c’est l’heureuse distinction faite par M. Dufaure. Enfin, avec un peu d’esprit, un gouvernement est tenu également d’être modeste, de ne pas trop parler de son caractère définitif, de son éternité. Ces discussions subtiles nous rappelaient un discours charmant, séduisant de raison, où M. Thiers, il y a quelques années, parlait des gouvernemens définitifs — qui « durent ce que dure leur sagesse. » Il faisait le compte de tous les régimes qui se sont crus éternels, et il ajoutait avec un spirituel bon sens : « Quand j’entends un gouvernement dire : Je suis définitif et perpétuel, je souris et je réponds : Vous serez à peine durable. Quand on a assez peu de bon sens pour croire qu’on se perpétue avec des déclarations, on fait trembler pour un prochain avenir. » Ah ! ceux qui combattaient alors M. Thiers voudraient bien que tout fût au point où nous étions quand ces paroles étaient prononcées, — et ceux en faveur de qui la roue de la fortune a tourné feront bien de méditer ces leçons d’une sagesse clairvoyante. C’est la meilleure moralité de la dernière discussion du sénat.


CH DE MAZADE.