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puisqu’elles reconnaissent les insurgés de la Turquie comme belligérans, et qu’elles laissent prévoir des mesures plus efficaces, si on ne réussit point par la diplomatie ; puis les trois puissances communiquent ce qu’elles ont décidé aux autres gouvernemens en leur laissant quelque vingt-quatre heures ou un peu plus, si l’on veut, pour envoyer leur adhésion. Qu’en résulte-t-il ? Là où tout le monde devrait marcher ensemble, la désunion apparaît, — et le refus de l’Angleterre est la première conséquence d’un assez nouveau et assez dangereux système de diplomatie.

Lorsque les ministres se sont brièvement expliqués devant le parlement, ils ont dit, il est vrai, que la susceptibilité n’était pour rien dans le refus opposé par le cabinet aux résolutions de Berlin, que l’Angleterre n’était point blessée. On en pensera ce qu’on voudra. Ce ne serait pas la première fois que l’Angleterre ressentirait un certain malaise en s’apercevant de l’isolement où l’a laissée depuis quelques années une politique d’abstention et d’effacement. M. Disraeli aurait, assure-t-on, témoigné à sa manière qu’il remarquait le procédé ; il aurait dit assez ironiquement au comte Schouvalof, ambassadeur de Russie : « Vous nous traitez comme le Monténégro. » Et il n’a pas voulu être traité comme le Monténégro ! Après cela, il est bien certain que le cabinet de Londres a eu d’autres raisons de répondre aux propositions de Berlin, par un refus qui est maintenu jusqu’ici. Il s’est inspiré, des traditions de la politique anglaise et il s’est fondé sur certaines déclarations du mémorandum russe qui lui ont paru être une atteinte à l’indépendance de l’empire ottoman. A la vérité, même en Angleterre, cette vieille politique qui a régné si longtemps commence à être un peu oubliée ou délaissée. Le vieux lord John Russell met sa verdeur d’octogénaire au service des insurgés de l’Herzégovine. Lord Redcliffe, qui, pendant tant d’années, comme ambassadeur à Constantinople, a soutenu la Porte dans ses luttes contre la Russie, qui a été un des plus actifs promoteurs de la guerre de Crimée, lord Redcliffe en est venu à croire et à dire que la Turquie est absolument incapable de se réformer, et la conclusion naturelle est qu’il faut qu’elle meure telle qu’elle est. Évidemment il y a dans l’opinion anglaise un certain mouvement de défaveur ou d’indifférence à l’égard de la Turquie ; mais pour le gouvernement, qui représente un intérêt national moins mobile, c’est une question d’influence, de tradition, c’est même une question de sécurité pour l’Inde de ne pas paraître aider à la destruction ou à l’humiliation de l’empire ottoman. Le cabinet anglais n’a point hésité, et il est vraisemblable aujourd’hui qu’il ne reviendra sur son premier refus que si l’acte délibéré à Berlin est ramené à des termes qui ne mettent en doute ni les droits souverains ni l’indépendance de la Turquie.

Quant à la France, M. le duc Decazes a précisé avec autant de