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indépendance, — qui imposait aussi à la Turquie des obligations et des garanties dont l’Europe gardait le droit de surveiller l’exécution. C’est ce qu’on pourrait appeler la dernière trêve accordée à la Turquie : elle a duré vingt ans ; mais évidemment, durant ces vingt années qui expirent maintenant, les choses ont marché de toute façon dans l’empire ottoman comme en Europe. Les conditions sont étrangement changées, et c’est là précisément le nœud de toutes les complications, de toutes les impossibilités ou de toutes les difficultés de cette éternelle et insoluble question.

D’un côté la situation de la Turquie, au lieu de se relever. et de se fortifier, n’a fait visiblement que s’aggraver et dépérir ; elle semble se décomposer tous les jours. Depuis près de deux ans, l’insurrection a éclaté dans les provinces des Balkans ; elle a commencé par l’Herzégovine, elle a envahi la Bosnie, et s’étend peut-être aujourd’hui à la Bulgarie, à la Roumélie. Dans tout ce monde chrétien et slave, la fermentation s’accroît. Le gouvernement turc envoie sans cesse des forces militaires ; des combats sont livrés, dit-on, et surtout les bulletins ne manquent pas. En réalité, l’insurrection garde ses positions, son champ de bataille ; elle a son organisation, elle traite de puissance à puissance, et elle s’est même sentie assez forte récemment pour refuser un armistice sans garanties. Comment la Turquie viendrait-elle à bout d’un mouvement qu’elle n’a pu réduire jusqu’ici, qui ne fait que grandir ? Elle le pourrait peut-être encore si elle avait un gouvernement, une administration, des finances ; mais elle a perdu son crédit par la banqueroute. Elle est dans cette condition d’un état qui provoque la haine, la résistance des populations chrétiennes par toutes les exactions, par les excès d’impôts, et qui périt d’inanition au milieu des gaspillages et des dilapidations. Elle ne paie ni ses créanciers extérieurs, ni ses employés, ni ses troupes, pendant que 50 millions sont consacrés aux palais, au harem et aux ménageries du sultan. Chose bien plus étrange, dans cet empire en décadence, il y a une sorte d’ébranlement intérieur, comme un sentiment de révolution, et ce sont les softas de Constantinople qui avaient provoqué par des manifestations la chute du grand-vizir Mahmoud-Pacha, avant d’en venir au renversement du sultan. Les Turcs demandant, eux aussi, des états-généraux pour la réforme de l’empire, est-ce un symptôme du mal ? est-ce un remède ? Ce serait en vérité assez curieux de voir une assemblée nationale à Constantinople, à côté du chef des croyans, dont le pouvoir est une religion. Le spectacle serait nouveau, et en attendant, comme pour compléter et aggraver tous ces faits, tous ces signes d’impuissance, des gouverneurs turcs dans une grande ville n’ont pas même pu empêcher une populace fanatique de massacrer des consuls européens. Salonique achève et assombrit le tableau. On dirait que la seule force qui reste vivante est le fanatisme