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très sérieux que certains négociateurs ont consacrés à cette affaire, il est impossible de s’y intéresser. À distance, nous ne voyons plus là que des malentendus. C’est pure matière à paperasserie diplomatique. M. le baron Nothomb, dans son Essai historique et politique sur la révolution belge, a bien raison de passer rapidement sur ces misères. Quant à l’éditeur des Mémoires de Stockmar, il ne néglige pas une si bonne occasion d’insulter la France. Il fallait écarter ces notes surannées, il les étale. Il fallait du moins faire remarquer au lecteur que ces débats, si vifs pendant quelques semaines, avaient été terminés à la satisfaction de tous ; lui, bien loin de là, s’il ajoute un commentaire à ces pages fastidieuses, c’est pour envenimer des commérages. Lord Palmerston, dans un moment de vivacité, a-t-il parlé avec dédain de ce qu’il appelle nos rodomontades ? A-t-il traité de comédie la conduite de M. de Talleyrand et l’attitude de Casimir Perier ? Ce sont là de ces mauvaises paroles qui peuvent échapper à des natures nerveuses, mais que nul esprit sérieux ne s’avise de ramasser. L’éditeur de Stockmar s’en empare, les produit, les encadre, et ce travail le met en joie. Aussi, quand il est forcé de convenir que la France, après un mouvement de fierté trop vif peut-être, a reçu des quatre puissances la garantie qu’elle demandait, c’est-à-dire une nouvelle et expresse déclaration de la neutralité belge, il s’écrie du ton d’un homme qui se croit très spirituel : « Tant de bruit pour une omelette ! » Notez qu’il dit cela en français et qu’il est tout heureux de sa trouvaille. Il a raillé la France avec un dicton de notre langue familière, voilà de quoi s’épanouir et triompher. Que vous semble de cette fine raillerie ? Je pense, quant à moi, que nous n’avons rien à en dire ; c’est Stockmar le père, s’il vivait encore, qui aurait le droit de s’en plaindre. Malgré ses mesquines passions, Stockmar était homme d’esprit ; il aurait un peu rougi, croyez-le, de se voir commenté de la sorte.

Laissons là ces sottises, tout ce détail est indigne de l’histoire ; mais voici reparaître dans les dépêches de Stockmar, à la date de 1831 et de 1832, la conduite mystérieuse de M. de Talleyrand. Ici, la question vaut qu’on s’y arrête. On sait que le prince de Talleyrand représentait la France à la conférence de Londres, tandis que le baron de Stockmar était l’ambassadeur secret du roi Léopold auprès du foreign office. Stockmar, qui se défie de Talleyrand, a-t-il découvert chez lui, soit dans l’affaire des forteresses, soit à propos de la ratification du traité, des indices certains de la politique tortueuse dont il l’accuse ? Écoutons-le et jugeons.

Dans les premiers mois de l’année 1832, le traité constitutif de la Belgique n’ayant pas encore été ratifié par l’Autriche, la Russie et