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formule, coulés au moule de la haine et de l’orgueil allemands. Ah ! les Allemands ont la mémoire longue. Il y a quelques années, leurs souvenirs ne remontaient encore que jusqu’à Conraddin de Hohenstaufen, qui fut décapité à Naples par les Français ; ils remontent un peu plus loin aujourd’hui, jusqu’à l’époque des grandes invasions. Voici le portrait du vrai Français, du Français de l’Ile-de-France : « L’Ile-de-France est le cœur de la France, non pas proprement le cœur, mais comme vous diriez la farce du pâté français, Füllsel des französischen Fladens. » Vous reconnaissez ici le goût incorrompu de l’Allemagne. « C’est cette partie du pays qui, comme un ferment de pourriture, a réussi lentement à faire lever et corrompre le reste. C’est elle dont la légèreté, l’inconstance, la folie, s’est étendue, pour les gangrener, aux parties plus nobles de la France. C’est là, dans ce vrai pays gaulois, qu’habite la population la plus malingre, la plus rabougrie, jusqu’au point de ne pouvoir pas atteindre la taille réglementaire du soldat français. » Quant à ce dernier détail, je me fais un vrai plaisir d’apprendre à M. Hummel que la taille moyenne est sensiblement plus élevée dans le département de la Seine que dans les départemens de l’Aude, de la Haute-Loire, du Tarn, de la Lozère et de l’Ardèche, qui font partie cependant de cet ancien Languedoc, si reconnaissable à ses yeux pour terre vraiment germanique[1].

On se tromperait de ne voir là qu’une boutade humoristique ; il y a plus. Quand M. Hummel appelle Chambord « un édifice gothique, » ou quand il fait de Cuvier « un naturaliste wurtembergeois, » sans doute il plaisante, et c’est qu’il veut égayer la monotonie d’une longue nomenclature de départemens et de villes ; mais dans ces artifices d’ethnographie, dans ces insinuations perfides, je crains qu’il ne soit trop aisé de voir toute une théorie naïve d’impudence, tout un système d’ambition qu’on dirait que dès à présent l’Allemagne s’exerce à justifier dans l’avenir. On le reconnaît à l’accent de colère frémissante et contenue que prend le style du géographe quand il parle de la Lorraine. Il cite quelques paroles de Arndt qui datent de 1843, et continue lui-même en ces termes : « On pourrait ajouter que ces Lorrains, race d’ailleurs honnête et laborieuse, ont importé par-delà la frontière la plupart des défauts allemands, sans acquérir par compensation aucune des qualités aimables du Français. Dans l’orgueil de leur passion, ces Lorrains, qui cependant nous ressemblent de si près, s’imaginent que nous devrions nous trouver trop heureux, nous autres Allemands, d’être asservis et pliés sous eux. Rien n’est plus significatif, rien ne saurait mieux caractériser l’attitude qu’ils ont prise en face de leur patrie

  1. On trouvera les chiffres dans les Mémoires d’anthropologie de M. Paul Broca,. t. Ier, p. 445, 446.