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marcher ? Cette question a été étudiée notamment par M. Reed, ingénieur anglais, dont les plans sont généralement adoptés par l’amirauté de la Grande-Bretagne. Les essais de la première popofka ont été modestes. C’était une simple embarcation. M. Reed la visita et la monta dans les eaux de Cronstadt, où il constata la facilité des mouvemens et de la navigation de ce bâtiment. Le prince Constantin et l’amiral Krabbe avaient pris à cœur cette invention. D’après leurs ordres on en continua l’expérience. Un nouveau bâtiment du même genre, conçu avec des proportions bien plus vastes, fut mis en chantier. On l’appela Novgorod. Construit à Pétersbourg, il fut expédié à Nicolaïef ; on l’y envoya démonté par chemins de fer ; les chaudières furent transportées par la voie de mer. L’ingénieur anglais les suivit quand le navire fut achevé et armé. Il fit une excursion d’essais, M. Reed y fut admis. Le bâtiment se comporta à la mer « d’une façon surprenante, » d’après le témoignage d’un officier de la marine anglaise, dont l’allégation ne fut point contredite. C’est un navire à tourelles, à fond plat et de forme circulaire, dont le diamètre est de 100 pieds, la profondeur de 12 pieds 1/2. Au milieu du pont s’élève une tour portant deux pièces de grosse artillerie, montées sur affûts mobiles. La Novgorod ne s’élève pas beaucoup au-dessus de l’eau. La tourelle prend sa base sur le pont, qui au centre se relève à une hauteur de 1m,50 au-dessus des francs-bords. Le navire est entièrement revêtu de fer dans ses fonds, à la flottaison et sur le pont. La tourelle est également cuirassée. On voit quel genre d’avantages offrent ces constructions. Le blindage au-dessus de l’eau les défend contre les projectiles ; la cuirasse du fond les met, autant que possible, à l’abri des torpilles. La forme de ces bâtimens leur permet d’ailleurs de porter une armure très épaisse. Ils sont divisés en cloisons étanches, de telle sorte que l’effet d’une déchirure causée par l’éperon ou la torpille pourrait être limité à l’inondation d’une très petite partie du navire. Or un compartiment étanche peut se remplir d’eau sans surcharger un bâtiment au point d’en entraîner la perte. Les popofka ont donc le privilège de supporter sans fatigue une cuirasse à l’épreuve, de naviguer dans des eaux très basses où d’autres bâtimens ne pourraient les suivre. Ces constructions sont-elles maniables ? font-elles aisément leur chemin dans la mer ? évoluent-elles facilement ? La réponse peut être affirmative par suite de certaines précautions. Il faut savoir d’abord que la Novgorod a six quilles auxquelles correspondent six hélices, mues chacune par une machine à vapeur de 80 chevaux. Les uns voient dans ce nombre inusité de moteurs un embarras, d’autres un avantage. L’avantage consiste en ce que l’existence du navire est indépendante des avaries survenant à l’une de ses