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ligne assez étendue, qui fut coupée par l’escadre autrichienne en masse compacte. Il s’ensuivit une canonnade générale dont l’effet fut nul, si l’on en excepte l’incendie de la canonnière italienne, déterminé par le hasard et non par la tactique. Généralement les bordées passaient par-dessus les bâtimens autrichiens, et ceux-ci, d’ailleurs moins fortement armés, ne causaient pas grand préjudice à l’escadre italienne. Ce que voyant, les deux adversaires cherchèrent à s’aborder avec l’éperon. Persano montait un bâtiment lourd et difficile à manœuvrer, l’Affondatore. Vainement fit-il de grands efforts pour atteindre les bâtimens ennemis. L’Affondatore n’évoluait pas et ne réussissait pas à se lancer sur les navires. Tégéthoff avait mis son pavillon sur une frégate cuirassée, moins puissante peut-être, mais plus maniable. Quatre fois il se précipita sur l’ennemi, mais les trois premiers chocs n’eurent pas de résultats bien sensibles. Le quatrième devait réussir par suite d’un événement inattendu. Le Re d’Italia, grosse frégate cuirassée de trente-six canons, portant 600 hommes d’équipage, eut son gouvernail démonté. Réduit à l’état de ponton, incapable de manœuvrer, il fut abordé par la frégate de l’amiral Tégéthoff et sombra, corps et biens, en quelques minutes. Ce fut le fait capital de la bataille, et ce fait eut un retentissement universel. Dans toutes les marines, on ne parla plus que de l’éperon. On y vit tout l’avenir des flottes de guerre. La Russie ne fut pas la dernière à s’engouer de cette arme qui semblait faite exprès pour l’usage d’un peuple peu marin. Le gouvernement se hâta de donner un bélier à chacun de ses navires, et des exercices à l’éperon firent l’objet d’une étude approfondie dans les rangs de la flotte à partir de l’année 1868. Ce fut en quelque sorte la deuxième phase de reconstruction de la marine russe.

La bataille navale de Lissa ayant fait ressortir l’importance de l’éperon, les Italiens ayant combattu surtout avec l’artillerie, les Autrichiens par le choc, et ceux-ci, inférieurs en force, ayant obtenu l’avantage, la supériorité de l’éperon semblait établie. Il fallait trouver les meilleurs moyens de s’en servir utilement. Or il paraissait assez difficile de manier avec succès cette arme brutale et terrible. Quatre fois, nous l’avons dit, l’amiral Tégéthoff avait donné des coups de bélier, une seule fois il avait réussi à frapper sérieusement son adversaire. Les autres commandans de l’escadre autrichienne n’avaient pas eu de succès, et leur éperon n’avait pas atteint, ou du moins n’avait pas sensiblement endommagé les frégates de l’ennemi. D’un autre côté, les Italiens avaient essayé du même moyen sans aucun résultat. Le bâtiment-amiral en particulier avait perdu son temps à prendre du champ pour s’élancer sur ses adversaires ; il en avait toujours manqué l’occasion. Donc le combat à l’éperon exigeait des bâtimens très maniables, obéissant