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LA
MARINE MILITAIRE
DE LA RUSSIE

Les peuples font chaque jour de nouveaux progrès dans l’art de la guerre. ils y appliquent les découvertes de la science ; la vapeur, l’électricité, les substances chimiques, qui semblaient devoir exclusivement enrichir le domaine de l’industrie et en développer les ressources, sont aujourd’hui des agens de destruction. Ces innovations sont sensibles particulièrement dans la marine : elle a subi des transformations spécialement favorables aux flottes secondaires. La Prusse en a profité ; la Russie n’a pas manqué de les utiliser également. En moins de quinze ans, elle a su réunir tous les élémens d’une marine très puissante, qui se montre dès à présent armée de toutes pièces, en état de figurer dans le monde et d’y faire entendre sa voix.

Qui l’eût dit en 1854, lorsque la flotte russe en était réduite à se réfugier à Cronstadt et à Sébastopol ? Alors elle n’avait pas même la consolation de frapper au moins un coup pour l’honneur du pavillon. Le suicide était son unique ressource, et c’est en coulant ses vaisseaux à l’entrée du port qu’elle rendait un suprême service à la patrie. Ses canons étaient transformés en artillerie de terre, bonne à tonner sur des remparts ou derrière les sabords de vaisseaux immobiles. Nous régnions en maîtres sur la mer. Nos vaisseaux, joints à ceux de l’Angleterre, faisaient vivre l’armée débarquée en Crimée, lui apportaient des renforts, des approvisionnemens, et préparaient pendant de longs mois sa victoire. Ils assuraient en même temps la liberté de notre commerce sur mer. À cette époque, notre marine fut un moment prépondérante ; le monde entier se disait qu’elle