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prêterait secours une seconde fois, il est à souhaiter dans l’intérêt des Belges qu’ils n’aient pas à subir une nouvelle attaque ni à demander ce nouveau secours. La seconde intervention française, j’en ai peur, aurait de tout autres conséquences que la première. Il est probable que la Prusse s’en mêlerait, et alors je tiens pour impossible d’éviter une guerre générale.

« Pour la négociation du traité de paix avec la Hollande, je pose deux principes que je recommande de la façon la plus pressante, deux principes qu’il importe de ne pas perdre de vue une seule minute.

« 1o Agissez toujours comme si la France était réellement de bonne foi dans la question belge.

« 2o Croyez fermement que toute défense, toute protection de la Belgique dans la conférence de Londres ne peut venir que de la France. Efforcez-vous d’obtenir cette protection, autant que possible, par votre correspondance personnelle avec votre frère de Paris[1]. Attachez-vous-y à tout instant, sans trêve, sans repos. Je puis me tromper, mais, d’après ce que je vois ici, l’Angleterre ne fera pour nous presque rien de positif. Elle n’aura que des exigences négatives, je veux dire qu’elle cédera sur les exigences que la France saura maintenir à notre profit. Une chose, je le sais, pourra empêcher que la France ne maintienne avec fermeté nos justes exigences, c’est l’opposition secrète de Talleyrand. Il ne sert de rien de vouloir deviner pourquoi Talleyrand nous est défavorable et quels projets il a en tête ; contentons-nous de savoir qu’il est hostile à notre cause et tâchons de la faire triompher malgré lui. Écrivez donc à Paris chaque jour, chaque heure, bombardez de vos lettres le roi Louis-Philippe, faites tout au monde pour obtenir que Talleyrand reçoive des instructions précises, qu’il représente nos intérêts dans la conférence, qu’il ne cède sur rien sans en avoir référé d’abord a son gouvernement. »


Stockmar se serait-il exprimé de la sorte s’il avait cru que M. de Talleyrand marchait d’accord avec Louis-Philippe ? Ou ces dépêches ne signifient rien, ou elles veulent dire que M. de Talleyrand a ses idées personnelles, qu’il tient peu de compte des instructions de Paris, que n’ayant pu faire accepter sa politique au gouvernement de Louis-Philippe, il tâche de la lui imposer par les circonstances ; elles indiquent aussi que Louis-Philippe, forcé de ménager l’illustre vieillard, se borne à lui donner des leçons indirectes en suivant sa propre voie loyalement et continûment. C’est l’exacte vérité. Stockmar, qui l’entrevoit par instans, s’en détourne presque aussitôt. Ses dépêches fourmillent de contradictions. Tantôt la France est de mauvaise foi, tantôt c’est à la France seule que la Belgique peut se fier. Un jour, il traite Louis-Philippe en suspect, le lendemain il

  1. Le roi Louis-Philippe.