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faisait publier des lettres diplomatiques où étincelaient des mots comme ceux-ci : « Le diamètre du Piémont n’est pas proportionné à la grandeur et à la noblesse de la maison de Savoie… — Tant qu’il me restera de la respiration, je répéterai que l’Autriche est l’ennemie naturelle et éternelle de sa majesté… Si l’Autriche domine de Venise à Pavie, c’en est fait de la maison de Savoie : Vixit ! — Prenez garde à l’esprit italien, il est né de la révolution et jouera bientôt une grande tragédie. Notre système timide, neutre, suspensif, tâtonnant, est mortel dans cet état de choses. Que le roi se fasse chef des Italiens, que dans tout emploi civil et militaire il emploie indifféremment des révolutionnaires. Ceci est essentiel, vital, capital… Voici mon dernier mot : si nous demeurons ou devenons un obstacle, requiem eternam, etc. » Que disait et que faisait de plus le chef du cabinet piémontais en 1857, un demi-siècle après que Joseph de Maistre avait lancé ces paroles qui venaient maintenant retentir comme un tocsin importun aux oreilles des réactionnaires de la droite ?


III

Non sans doute, Cavour ne se trompait pas, cette « politique des huit années, » conduite avec tant d’art à travers toutes les complications, n’était pas près de sombrer pour un trouble de scrutin. Elle échappait à cette crise comme à bien d’autres crises, et par un de ces coups de fortune qui n’arrivent qu’aux habiles, ce qui devait la perdre, bien plus que l’ébranlement passager des élections, allait au contraire en accélérer le succès en faisant sortir la victoire de la plus sombre aventure. Quelque chose d’assez semblable à ce qui s’était passé au commencement de 1852, au lendemain du 2 décembre, mais cette fois bien plus grave, bien plus périlleux encore, allait offrir à Cavour une occasion de déployer la même dextérité, de retrouver le même bonheur et de franchir l’étape décisive par des chemins inconnus.


Ce quelque chose d’imprévu, de redoutable, c’était l’attentat qui éclatait, le soir du 14 janvier 1858 à Paris, contre l’empereur et l’impératrice entrant à l’Opéra. A la première nouvelle transmise par le télégraphe, Cavour laissait échapper une exclamation : « Pourvu que ce ne soient pas des Italiens ! » Malheureusement c’étaient des Italiens ; l’organisateur audacieux de la criminelle entreprise, Félix Orsini, était un émigré de la révolution romaine, connu pour une évasion romanesque des prisons de l’Autriche, affilié des sociétés secrètes, et dont le chef du cabinet piémontais se souvenait d’avoir