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doit avoir une plus grande puissance territoriale, même dans l’intérêt de la Russie ; mais il faut que cela se fasse en dehors de la révolution, il faut que l’initiative vienne d’en haut. En attendant que le gouvernement sarde continue à prouver à l’Europe qu’il est capable de maintenir l’ordre, qu’il s’abstienne de troubler les autres états italiens. Si le Piémont sait attendre avec calme le grand jour, ce jour viendra pour lui, et la Russie alors l’aidera à chasser l’Autriche de l’Italie… » Que ces promesses et ces démonstrations fussent plus flatteuses qu’efficaces, cela se pouvait. Dans tous les cas, elles marquent le point culminant de ces relations de la Russie et du Piémont vers 1857 ; elles avaient assez de prix pour que Cavour, au risque d’indisposer lord Palmerston, ne craignît pas de céder à la marine du tsar une sorte de droit permanent de refuge en pleine Méditerranée, dans la rade de Villefranche, et la haine de la Russie contre l’Autriche était tout au moins le gage d’une neutralité sympathique au jour d’un conflit.

Restaient l’Angleterre et la France, les deux grandes alliées que Cavour avait toujours en vue, de qui il attendait un secours plus direct, plus actif, sans savoir encore jusqu’où irait ce secours. Évidemment l’idéal de Cavour eût été de maintenir dans toute sa force l’alliance de l’Angleterre et de la France, en gardant l’espoir de mettre un jour ou l’autre cette alliance en mouvement pour la cause de l’Italie. C’était un rêve, il venait de le voir dans ces négociations poursuivies depuis le congrès de Paris. Aux premières difficultés, l’Angleterre s’était tournée vers l’Autriche, — et l’Angleterre ne s’était point liée avec l’Autriche dans les affaires d’Orient pour l’abandonner dans les affaires d’Italie.

La politique anglaise, politique des whigs comme des tories, pouvait prodiguer les encouragemens, les témoignages de la plus chaleureuse sympathie au régime constitutionnel florissant à Turin ; elle voulait bien demander des réformes intérieures dans les autres états italiens, morigéner le pape, le roi de Naples ; au besoin, elle ne refuserait pas son secours au Piémont, s’il était attaqué. Elle ne voulait point aller au-delà. Ce que lord Clarendon avait dit, ce qui avait fait un instant l’illusion de Cavour, ne dépassait pas cette limite. L’Angleterre, attachée par tradition aux traités de 1815, ne voulait ni guerre pour l’Italie, ni remaniemens de territoires. Elle voyait surtout avec ombrage des complications qui pouvaient offrir à la France une occasion d’intervenir en armes au-delà des Alpes. Aussi Cavour trouvait-il auprès d’elle de l’amitié, une considération des plus sérieuses, et peu d’encouragemens, plutôt des conseils inquiets et moroses. Il avait beau faire, il ne gagnait rien, peut-être même s’était-il rendu suspect en cédant à la Russie le droit de stationnement dans la rade méditerranéenne de Villefranche. Lord