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de convenance ; il l’envoyait complimenter par M. Boncompagni, qui représentait alors le roi Victor-Emmanuel à Florence. Il croyait devoir cela au chef de l’église et aux catholiques piémontais qu’il ne voulait pas blesser inutilement. Cavour était un ministre qui se mettait en règle avec les gouvernemens et les traditions ; cela ne l’empêchait pas de suivre son chemin. Par ses paroles comme par ses actes, il ravivait sans cesse l’ascendant de sa politique au-delà des Alpes, et de cette direction de Cavour, de l’impulsion de Manin, de l’action multiple de la « Société nationale, » naissait ce « parti italien » nouveau, rapidement accru, prompt à se discipliner et à marcher sous la main de celui dont l’aimable et brillant Florentin Salvagnoli disait : « Après une conversation avec cet homme, je respire m mieux, mon esprit se dilate. »

Avoir le Piémont par l’autorité du chef parlementaire et l’Italie par la fascination d’une politique nationale, ce n’était pas tout pour arriver au but. Cavour avait à conquérir des alliances en profitant de la situation où restait l’Europe au lendemain du congrès de Paris. Cette situation était assez confuse. La paix du 30 mars 1856 avait laissé un certain nombre de points indécis : la fixation de la nouvelle frontière russe en Bessarabie, la possession de l’île des Serpens aux bouches du Danube, le règlement de la navigation du fleuve, l’organisation des principautés de Moldo-Valachie ; — et la solution de ces questions complémentaires devenait presque aussi épineuse, aussi délicate que la paix elle-même ; elle prenait surtout de la gravité par les intérêts et les ressentimens qu’elle mettait en jeu, par les déplacemens d’alliances qui pouvaient en résulter. Une chose était sensible, on ne s’entendait pas. Deux camps se dessinaient dans le mouvement diplomatique de l’Europe : d’un côté, l’Autriche, assez raide vis-à-vis des Russes, maintenant les conditions de la paix dans toute leur rigueur, avait l’appui de l’Angleterre et de la Turquie ; d’un autre côté, la France penchait pour les interprétations les plus conciliantes, les plus favorables à la Russie, qu’elle flattait visiblement après l’avoir combattue. La paix était à peine signée depuis quelques mois, que déjà les alliés de Crimée semblaient ne plus être d’accord, et sur chaque point l’antagonisme éclatait dans une certaine confusion.

Cavour ne se mêlait d’abord que très discrètement à ces luttes intimes où il craignait de trouver divisées sinon hostiles des influences, — celles de la France et de l’Angleterre, — qu’il tenait à ménager également S’il y entrait bientôt plus vivement, c’est qu’il y était appelé par ce qu’il croyait être une nécessité de sa politique et par la confiance des cabinets qui s’accoutumaient de plus en plus à compter avec lui, avec cet esprit juste et inventif. Il jouait le rôle d’une sorte de médiateur, de conciliateur, dans