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Cavour au moment du congrès ; il n’avait pas tardé à saisir toute la portée de la politique du ministre piémontais, et malgré des préférences républicaines qui étaient pour lui une tradition vénitienne, avec la résolution d’un homme « cherchant ce qui est pratiquement possible… aimant l’Italie plus que la république, » il n’hésitait pas à se prononcer pour cette politique dont il avait salué les succès dans les négociations de Paris. Brisé par les douleurs intimes, par la perte d’une fille qui était pour lui comme une image émouvante et désolée de Venise, atteint déjà du mal qui devait l’emporter, il épuisait ce qui lui restait de forces à développer ses idées, son programme. Il avait été à Paris le promoteur de la souscription des cent canons d’Alexandrie, à laquelle la tolérance du gouvernement français ne laissait pas de donner une certaine signification. Il multipliait lettres et manifestes, préconisant l’alliance avec la France, détournant ses compatriotes des vieilles divisions municipales et des luttes stériles de partis, répudiant surtout, comme Cavour, le meurtre, les attentats et le poignard des sectaires, pressant Mazzini de renoncer à ses complots, de se retirer d’une lutte où il n’était qu’un obstacle. « J’accepte la monarchie de Savoie, disait-il, pourvu qu’elle concoure loyalement et efficacement à faire l’Italie… La monarchie piémontaise, pour être fidèle à sa mission, doit toujours avoir devant les yeux le but final : l’indépendance et l’unification de l’Italie ! Elle doit profiter de toute occasion qui peut lui permettre de faire un pas en avant dans la voie conduisant à ce but… Elle doit rester le noyau, le centre d’attraction de la nationalité italienne. » Manin ne se doutait pas qu’avant que quatre années se fussent écoulées, ce qui semblait un rêve serait une réalité, qu’il ne devait pas voir ! De son regard, de son désir de mourant, il embrassait et pressentait l’avenir jusqu’au bout.

Cavour pour le moment, ne pouvait aller ni si loin ni si vite, ou du moins il ne pouvait l’avouer. Il sentait le danger de remuer tout en même temps ; il avait l’habitude de dire dans sa familiarité : « On ne peut faire qu’une chose à la fois… Commençons par mettre les Autrichiens hors de l’Italie ! » Ministre d’un état régulier, il se croyait obligé de tenir compte de certaines nécessités de gouvernement, d’éviter les fausses démarches, les complications inutiles ou prématurées Lorsqu’on 1856 la France et l’Angleterre s’engageaient dans une intervention diplomatique pour redresser le système à outrance du roi de Naples, il s’abstenait, non qu’il ne fût tenté de saisir l’occasion mais parce qu’il ne voyait pas où les deux puissances voulaient aller, parce qu’il craignait une démonstration impuissante dont le crédit du Piémont souffrirait sans compensation. Lorsque dans l’été de 1857 le pape Pie IX faisait un voyage à Bologne, Cavour ne se dispensait pas de remplir envers le pontife les devoirs