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douloureux : l’explosion d’une poudrière et de navires de guerre, un horrible attentat ; on a parlé de façon à laisser croire que ces faits sont l’œuvre du parti italien. Je les répudie, je les répudie hautement, et cela dans l’intérêt même de l’Italie. Non, ce ne sont pas des faits qu’on puisse attribuer au parti national italien ; ce sont les actes isolés de quelque malheureux égaré,… qui doivent être stigmatisés par tous les hommes sages, surtout par ceux qui ont à cœur l’honneur et l’intérêt italiens… »

Prononcées par celui qui venait de faire entrer l’Italie dans le congrès des puissances européennes, ces paroles avaient un retentissement profond et salutaire au-delà des Alpes. Elles transformaient l’opinion ; elles avaient l’avantage d’enlever aux sectes le droit de dire qu’elles conspiraient pour la cause nationale et aux gouvernemens le prétexte de rejeter sur la cause nationale des complots nés le plus souvent de l’excès des répressions. L’esprit de secte ne cédait pas sans doute le terrain du premier coup. Il sentait que ce ministre d’une monarchie constitutionnelle devenait pour lui l’ennemi le plus dangereux, et au moment même où Cavour désavouait ainsi les moyens révolutionnaires, Mazzini tentait en pleine terre libre du Piémont, à Gênes, un dernier effort pour ressaisir son influence. L’échauffourée de Mazzini à Gênes échouait misérablement devant le bon sens public, plus surpris qu’alarmé. Elle montrait tout simplement une chose avec évidence : ce que l’esprit de secte perdait, le libéralisme national le gagnait chaque jour. La politique piémontaise, à mesure qu’elle se dessinait par ses actes ou par ses paroles, avait cet heureux effet de raviver partout le sentiment d’une libération possible par les moyens réguliers, avouables, et dans cette œuvre Cavour trouvait rapidement des alliés ou des complices qui lui arrivaient de toutes les parties de l’Italie, quelquefois sans qu’il les cherchât ou qu’il les connût. La « Société nationale, » née à ce moment, organisée par un émigré sicilien, Giuseppe La Farina, a été une des expressions de cette phase nouvelle des affaires italiennes. Cavour trouvait en elle une auxiliaire indépendante, parfois peut-être assez compromettante, mais qui avait l’avantage de ramener dans le grand courant patriotique bien des esprits sincères égarés jusque-là dans les affiliations mazziniennes. Il avait surtout conquis le plus généreux, le plus précieux des alliés, Daniel Manin, qui vivait retiré à Paris depuis la chute de Venise.

Placés dans des conditions si différentes, l’un dans l’éclat d’un poste officiel, l’autre dans l’exil, ces deux hommes étaient faits pour se comprendre ; ils avaient plus d’un trait commun, la passion du patriotisme, la clairvoyance d’une raison lumineuse, le sens délié et pratique des événemens. Manin avait eu une entrevue avec