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pays dans le transit du monde. Il évaluait avec la précision de l’économiste, du financier le plus positif, tous les avantages matériels de la percée souterraine du Mont-Cenis ; mais en même temps il était peut-être surtout sensible à l’honneur que se ferait le Piémont par cette marque de sérieuse et forte virilité. Il y mettait tout son feu, et un jour, sur la place d’armes de Turin, montrant à un de ses amis l’amphithéâtre des Alpes qui fermait l’horizon, il lui disait : « Si Louis XIV a dit qu’il n’y avait plus de Pyrénées, j’espère qu’un jour avec plus de raison nous dirons qu’il n’y a plus d’Alpes. On prétend qu’il y a de grandes difficultés, et je le crois ; on me dit aussi que nous sommes encore trop petits pour tenter une entreprise de ce genre. Je réponds, moi, que les difficultés, nous les surmonterons, et que, pour devenir grands, nous devons faire ceci. Absolument les Alpes doivent s’abaisser. » Et en parlant ainsi il laissait éclater dans son regard et dans ses gestes l’ardeur, la puissance de la volonté qui l’animait.

Cavour s’était épris de bonne heure de ce grand travail. Il ne cessait de s’intéresser aux expériences de l’habile ingénieur savoyard, M. Sommeiller, qui après s’être distingué aux travaux de l’Apennin sur le chemin de fer de Gênes, mettait son génie à résoudre le problème vital de l’emploi de l’air comprimé pour le percement du Mont-Cenis. Il ne secondait pas seulement M. Sommeiller de son pouvoir de ministre, il le soutenait de sa foi, et de même que dans les questions militaires il avait toujours en La Marmora un compagnon aussi actif que fidèle, dans l’affaire du Mont-Cenis, il avait pour complices son collègue des travaux publics, Paleocapa, Menabrea qui oubliait la politique pour servir un grand dessein. Cavour s’occupait de tout ce qui pouvait aider au succès, défendant avec une égale énergie les ingénieurs, les moyens d’exécution, les emprunts nécessaires, les traités signés avec la compagnie du chemin de fer de la Savoie, aplanissant les difficultés et entraînant à sa suite toutes les volontés hésitantes. « J’espère, disait-il avec feu au parlement, j’espère que vous ne voudrez pas démentir votre carrière à la fin de cette laborieuse législature. Je crois que vous suivrez une politique franche, résolue. Si vous adoptiez une autre proposition… vous inaugureriez un système absolument différent, et j’en serais désolé, non-seulement parce qu’une grande œuvre serait compromise, mais parce que ce serait d’un fatal augure pour le, futur système politique du parlement. Nous avions le choix de la voie à suivre ; nous avons préféré celle de la résolution et de la hardiesse, nous ne pouvons rester à mi-chemin. C’est pour nous une condition de vie, une alternative inéluctable : avancer ou périr ! Je nourris la ferme confiance que vous couronnerez votre