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campagne c’était assez d’avoir pu introduire l’Italie en plein congrès ; qu’à vouloir aller plus loin, pour le moment, on risquait d’indisposer la France et l’Angleterre, l’Europe tout entière, à peine remise d’un grand conflit. Il avait compris bien vite que cette situation nouvelle, qui venait de naître par la paix du 30 mars 1856, avait besoin de mûrir, qu’il fallait laisser à toutes les politiques, aux alliances, aux intérêts, le temps de se dessiner, en accoutumant de plus en plus l’opinion universelle à cette question italienne brusquement évoquée. Il avait vu, en un mot, que rien de décisif ne serait possible avant quelques années, deux ou trois ans peut-être, et que jusque-là c’était tout un travail à recommencer ou à poursuivre, d’abord pour ne pas perdre le terrain conquis, puis pour préparer la nouvelle marche en avant.

Une chose restait certaine ; le congrès de Paris laissait la question italienne ouverte, le Piémont et l’Autriche en présence au-delà des Alpes. Cavour le disait en rentrant à Turin : « les plénipotentiaires de la Sardaigne et ceux de l’Autriche, après avoir siégé deux mois côte à côte, se sont séparés sans animosités personnelles,… mais pénétrés de la conviction intime que les deux pays sont plus loin que jamais de se mettre d’accord dans leur marche politique, et que les principes soutenus par l’un et l’autre état sont inconciliables. » Cet antagonisme avéré, constaté devant l’Europe, accepté par le Piémont, l’Autriche le subissait avec l’impatiente humeur d’une puissance qui se sent défiée ; elle s’en irritait, et en s’irritant d’un antagonisme qu’elle avait le droit de trouver inégal, tant qu’elle n’avait affaire qu’au petit Piémont, elle ne faisait que l’accuser et l’aggraver. Encore quelques mois, elle allait lui donner la retentissante et périlleuse authenticité d’une rupture diplomatique. Une première fois avant la guerre d’Orient, dès 1853, elle avait rappelé le comte Appony ; après la guerre, au commencement de 1857, elle rappelait le comte Paar, envoyé depuis peu à Turin. Ce n’était pas encore une déclaration d’hostilité, c’était un aveu d’incompatibilité entre la suprématie impériale établie à Milan et le seul état libre de la péninsule. Cavour, à vrai dire, ne pouvait ni s’étonner ni s’émouvoir de cette rupture, qui entrait dans ses prévisions, qui le mettait à l’aise, mais dont il s’étudiait à laisser la responsabilité toute entière à l’Autriche. Il ne méconnaissait pas « les difficultés et les dangers » de cette tension croissante de rapports, il les avouait tout haut ; il n’y voyait qu’une conséquence inévitable de la situation acceptée par le Piémont, une condition de la campagne nouvelle qu’il avait engagée par ses hardies initiatives au congrès de Paris.

Ruiner moralement l’Autriche dans sa prépotence sans lui donner le prétexte d’une agression téméraire, maintenir plus que jamais