Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sandjak au mula ou juge suprême siégeant à Séraïevo. Quand les accusés sont musulmans, ils trouvent dans la constitution même des tribunaux une garantie suffisante ; s’ils sont chrétiens, le cadi n’existant point pour eux, ils ont dès le début recours au medzlis, qui devrait leur offrir la même garantie qu’aux musulmans, mais qui en réalité ne leur en présente aucune, car indépendamment du nombre de votes fatalement acquis à ceux de la religion contraire, tout ce qui est employé du gouvernement central est osmanli, nommé par les osmanlis, dépendant de leur pouvoir, et par conséquent intéressé à rendre des décisions qui leur soient agréables. Indépendamment de ces considérations, un embarras permanent résulte de cette circonstance que les membres du tribunal parlent le turc, qui est la langue officielle du gouvernement et des tribunaux, et que ceux qui ont la conduite des affaires judiciaires, juges, rapporteurs, interprètes, s’expriment et verbalisent dans cette langue. Or les plaideurs, habitans des deux provinces de Bosnie et d’Herzégovine, parlent le serbe et ne peuvent en aucune façon contrôler les procès et apprécier les sentences. Il faut bien reconnaître que, dans les centres où les chrétiens sont nombreux, et c’est le cas pour tous les centres agricoles, on a appelé à faire partie du conseil des représentai des raïas des deux rites, et ceux-ci sont tenus de savoir le turc ; mais, pour remplir une telle condition, il faudrait que ces représentans catholiques ou grecs eussent vécu à Constantinople ou dans la partie orientale de l’empire, ce qui n’est pas fréquent puisque, colons attachés à la terre, ils ne peuvent quitter le sol qui les nourrit ; dans la pratique, on a donc recours à de petits négocians retors qui font le commerce avec Constantinople ou les villes de Roumélie, et, à leur défaut, à des Hellènes établis en Bosnie, et qui y ont acquis le droit de cité.

La sentence à intervenir s’obtient d’ailleurs si lentement, et l’impartialité du jugement est si contestable, que le chrétien ne va plus devant les tribunaux. La plainte que le chrétien dépose doit être écrite, en langue turque, et rarement un secrétaire ou un écrivain public se prêtera à la rédiger, parce qu’elle est la plupart du temps dirigée contre un musulman ; une fois faite, on la consigne au caïmacan, et celui-ci, s’il la trouve conforme, la signe et la remet au juge, qui la joint aux nombreux dossiers auxquels on n’a pas donné suite. Ce cadi étant musulman, comment admettre qu’il favorise une plainte portée contre un musulman par un chrétien, et quand, après de nombreuses démarches, et les causes épuisées, la dernière est enfin appelée, comment admettre encore qu’ayant la majorité dans le conseil du medzlis, les juges musulmans concluent en faveur du chrétien ?

La procédure est orale, et il n’en reste pas de trace. Toutes les