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piastres par toit (17 francs). C’était une mauvaise mesure, car dans ces régions tout être, si misérable qu’il soit, possède un toit pour l’abriter, toit de chaume ou de feuillage, et dans sa riche et vaste demeure entourée de bois, de jardins et de plaines où paissent de nombreux troupeaux, le beg ne payait point une taxe supérieure à celle exigée du plus pauvre. L’émigration continua donc, les Turcs de Bosnie voulurent retenir les colons et usèrent de violence ; un soulèvement se déclara : Omer-Pacha, envoyé dans les provinces avec de pleins pouvoirs, dut user de toute son habileté comme administrateur et de son énergie comme général pour pacifier un état où les sujets, plus turcs que le Turc, ne voulaient rien concéder aux chrétiens et refusaient de suivre le sultan, leur maître, sur le terrain des concessions. C’est l’époque des grandes réformes connues sous le nom de tanzimat, et c’est par le fait la fin du pouvoir féodal en Bosnie et en Herzégovine. Les magnats des deux provinces, capitaines, begs, agas, rentrèrent dans les conditions générales des sujets mahométans de la Porte, le corps aristocratique des spahis fut supprimé, tout sujet musulman fut soumis à la conscription : enfin l’égalité des chrétiens et des musulmans devant la loi fut reconnue.

On croira difficilement que le système féodal, appliqué dans toute sa rigueur, n’a cessé de fonctionner qu’en 1851, et que la force seule put imposer aux musulmans de Bosnie et d’Herzégovine ces réformes toujours contestées, et qui malheureusement devaient bientôt redevenir lettre morte. Jusqu’en 1852, dans tous les districts, l’autorité directe était exercée par les capitaines descendans des anciens nobles du royaume de Bosnie convertis à l’islamisme, et quelques-uns d’entre eux habitaient encore les demeures fortifiées où leurs aïeux avaient soutenu des luttes contre les rois serbes. Le vizir résidant à Travnik n’avait nulle ingérence dans les affaires intérieures de la province, et ces hauts-barons étaient constamment en lutte avec le représentant du pouvoir central. Les capitaines avaient leur force armée, les spahis, aristocratie musulmane qui se transmettait les charges militaires par voie d’hérédité et qui percevait les taxes au nom du sultan, mais à son propre bénéfice, à la condition de prendre les armes et de servir à ses frais avec un nombre déterminé de soldats.

On se demande comment les sultans, dès le début de la conquête, avaient laissé subsister un pouvoir aussi gênant pour leur autorité, aussi périlleux pour les raïas que pour le gouvernement central, source réelle de tous les maux qui ont désolé la Bosnie, cause incessante de conflits qui ont failli plusieurs fois déterminer la ruine de l’empire ottoman.

C’est que ces mêmes sultans trouvaient dans cette force armée