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essaiera en vain de conjurer le péril. « Prince de Saxe-Cobourg, il est trop tard ! Sans vous, les affaires de Belgique eussent été terminées par l’intervention des grandes puissances ; à présent des flots de sang et de larmes vont couler, parce que M. de Saxe-Cobourg a tenté de s’asseoir sur le trône du roi Guillaume. »

Voilà bien l’écho des colères du roi Guillaume et des ressentimens du prince d’Orange. La déclaration de guerre était imminente. On sait que la citadelle d’Anvers, après l’armistice imposé aux combattans par la conférence de Londres, était restée aux mains des Hollandais, tandis que la ville appartenait aux Belges. Le 1er août, le général Chassé, commandant de la citadelle, notifie au commandant militaire de la ville que les hostilités seront reprises le 4 ; à neuf heures et demie du soir. Ce jour-là même, Léopold faisait son entrée à Liège au milieu des acclamations. C’est dans ces heures de fête que lui arriva la notification du général Chassé. Le roi, sans se troubler, regarde le péril en face. Ce péril est grand. Les Hollandais ont une armée toute faite, l’armée belge est encore à faire. Ah ! s’il avait eu le temps d’organiser l’armée, peut-être n’aurait-il eu qu’à se féliciter de l’attaque des Hollandais. Une telle guerre, soutenue avec honneur, aurait consacré la royauté nouvelle. Marcher à l’ennemi avec son peuple et repousser l’invasion, c’eût été le vrai couronnement. Que faire ? Va-t-il donc s’exposer à une défaite certaine, à une défaite qui doit tout perdre, lui qui vient de s’engager par serment à maintenir l’intégrité du territoire national ? En de telles conditions, une folie, même héroïque, aurait le caractère d’un crime. Il n’a qu’un parti à prendre : son devoir est d’appeler à son aide l’Angleterre et la France ; mais quoi ! il est souverain constitutionnel, il ne peut rien sans ses conseillers responsables, et aucun des ministres n’est auprès de lui. Cependant il n’y a pas un jour à perdre, pas une heure, pas une minute, le danger presse. Le roi fait appeler M. Lebeau, un des ministres du régent, un des fondateurs de la monarchie belge, qui vient de reprendre son poste d’avocat-général à la cour d’appel de Liège. M. Lebeau était ministre la semaine dernière, il le serait encore, s’il le voulait. En l’absence de ses conseillers officiels, le roi le consulte : « Sommes-nous en mesure de nous battre ? Faut-il demander le secours de l’armée française ? » M. Lebeau est de l’avis du roi ; lui aussi il aurait voulu voir l’armée belge, sous le commandement de Léopold, rejeter l’invasion au-delà des frontières ; mais il reconnaît que c’est jouer trop gros jeu. Assumant alors toute la responsabilité de son conseil, il écrit immédiatement aux deux représentans de la Belgique à Paris et à Londres, M. Lehon et M. Van de Weyer, les chargeant au nom du roi de réclamer l’intervention armée de la France et de l’Angleterre.