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agréables ou fâcheuses, et la morale de la religion nouvelle se résume dans ce précepte : mes enfans, impressionnez-vous les uns les autres. Qu’est-ce qu’un intransigeant ? C’est un impressionniste qui ne transige pas avec le besoin qu’éprouve le bourgeois de voir clair dans ce qu’on lui montre et avec sa sainte horreur pour les logogriphes et les charades. Le bourgeois est absolument insensible au charme du mystère, aux séductions du vague, de l’incompréhensible, de l’inachevé. Il ne comprendra jamais qu’une esquisse soit plus intéressante qu’un tableau. Qu’y a-t-il dans un tableau ? Ce qu’on y a mis ; vous voyez dans une esquisse tout ce qui n’y est pas et qu’on y pourrait mettre. La peinture intransigeante consiste à faire des tableaux qui ne sont que des esquisses, et des esquisses qui ne sont que des croquis, et des croquis si informes, si confus, qu’il faut les regarder de très près et très longtemps avant de savoir ce qu’ils représentent. Qu’a voulu faire l’artiste ? un dieu ou une cuvette ? Devinez. On a vendu l’an dernier à l’hôtel Drouot les pochades d’un peintre célèbre, mort à la fleur de l’âge et du talent ; c’était la défroque de son génie. L’une de ces pochades, à peine dégrossie, a été achetée, s’il nous en souvient, près de 40,000 francs ; elle représentait une plage de la Méditerranée et sur le premier plan une pelouse marquée de taches bleues, jaunes et roses. Les uns disaient : Ce sont des fleurs, — les autres : Ce sont des femmes. Ces taches, cette vente, ces pochades qu’on a payées 40,000 francs, ont pu contribuer au développement de la nouvelle école. Faire des fleurs qui ressemblent à des femmes et peindre des femmes qu’à la rigueur on pourrait prendre pour des fleurs, voilà le triomphe de l’art, le fin du fin. A merveille ; mais avez-vous la main et le nom de Fortuny ? Les gens qui ne cherchent pas midi à quatorze heures ont trouvé une définition plus simple de l’impressionnisme ; après avoir visité l’exposition de la rue Le Peletier, ils ont décidé que le propre de l’impressionniste est de peindre des arbres rouges, de l’herbe rose et des ciels lilas, en riant dans sa barbe, qui d’ordinaire est très longue, et en se disant : Goberont-ils le morceau ? Cette définition sommaire est injuste ; il y a des malins dans la petite chapelle, mais il y a aussi des dévoyés, dont quelques-uns ont un incontestable talent ; il y paraîtra le jour où ils consentiront à transiger avec le bon sens. Nous ne pouvons en vouloir au jury d’avoir fermé la porte du Salon à l’herbe rose et aux arbres rouges. Le public qui se presse au Palais de l’Industrie aime à prendre ses plaisirs au sérieux, et malgré le proverbe qui prétend que plus on est de fous, plus on rit, s’il désire qu’on l’amuse, il exige qu’on le respecte ou qu’on en fasse semblant.

Ce qu’il y a de neuf dans l’impressionnisme est faux, ce qu’il y a de vrai n’est pas neuf. Écoutons l’auteur des Confessions, le