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autel. Il était bienveillant pour l’église catholique, mais il ne lui appartenait pas. Peu à peu, et par une lente évolution dont il est assez difficile de saisir le point de départ, il en arriva à nourrir, non pas seulement vis-à-vis du catholicisme, mais vis-à-vis du christianisme lui-même, une hostilité profonde et raisonnée. Par une conception étroite et en quelque sorte prédestinatienne de la doctrine évangélique, la religion de la grâce et de l’amour lui apparut comme celle de l’arbitraire. À cette religion, il opposait celle de la justice et du droit, dont l’avènement datait à ses yeux de la révolution de 89. Chaque page de ses écrits expose la théorie de l’antagonisme entre le principe chrétien et le principe révolutionnaire. Cette hostilité s’accrut encore de toute sa haine contre les jésuites, qui était passée chez lui à l’état de monomanie. À plusieurs reprises, il crut devoir solliciter contre leurs persécutions imaginaires l’appui de la police. Ce grain de folie ne lui faisait cependant point, dans la pratique de la vie, pousser l’hostilité jusqu’à un fanatisme brutal. « Nous n’avons eu, a écrit Mme Michelet, qu’un enfant que Dieu m’a retiré. J’ai désiré pour lui le baptême. Il ne m’a fallu, pour obtenir l’acquiescement de mon mari, ni prières ni larmes. Un mot a suffi, et c’est lui-même qui a été chercher le prêtre. »

Tout en professant ces sentimens contre le christianisme, Michelet était demeuré profondément déiste. Il ne croyait pas seulement en un Dieu vague et abstrait, spectateur indifférent de notre existence et de nos maux, mais en un Dieu personnel, agissant, miséricordieux, dont il invoquait presque avec mysticisme la tendresse et la protection. « Je suppose, disait-il, que Dieu, qui est si bon, pour nous détacher de cette terre dont nous ne nous détachons guère pendant notre vie, nous accorde quelques années de vie errante autour de notre tombe. Les amis nous visitent fréquemment, la famille, les enfans ! Ah ! il ne peut leur parler, mais il les voit. » Une aussi vague espérance ne lui suffisait pas. Il avait une foi robuste dans l’immortalité de l’âme. Sa personnalité vivace repoussait l’idée de la destruction. La confiance qu’il entretenait en cette consolante assurance éclate maintes fois dans ses écrits. Dans les dernières années de sa vie, elle paraît s’être fortifiée encore. « Je ne connais qu’un monde (écrivait-il le 1er mars 1873), et voyant partout l’équilibre, la justesse dans les choses physiques, je ne doute pas qu’il y ait également équilibre et justesse dans les choses morales, sinon ici, du moins ailleurs, dans les globes et dans les existences qu’il nous sera donné de traverser… Je vois qu’en toutes choses le progrès est l’allure constante de cette puissance de la vie qui va toujours de bien en mieux, et je garde l’espoir, comme un courageux ouvrier, que de mes travaux imparfaits j’irai à un travail