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« Rien n’est petit au gouvernement monarchique. » Mais ce qui dérouterait singulièrement notre lecteur, naturellement étranger à cette connaissance solide des faits qui sert encore de guide au lecteur français, ce serait la disparition de ces dates précises entre lesquelles on divise d’ordinaire les longs règnes, et qui sont remplacées par des divisions fantaisistes. Ainsi le règne de François Ier se partage en deux parties : avant et après l’abcès. Le règne de Louis XIV : avant et après la fistule… Vainement essaierait-il, en l’absence de toute date, de se rattacher à l’ordre des chapitres. Que deviendrait-il lorsqu’il se trouverait en présence de titres comme ceux-ci : Molière et Madame, les Marquis proscrits, — le Café, l’Amérique, — Manon Lescaut, mort de Watteau. A chaque volume, sa confusion d’esprit, sa perplexité, iraient croissant, et j’aperçois le moment où, fatigué, ahuri, excédé, il jetterait le dernier volume, en regrettant peut-être de ne pas s’être courageusement attaqué à l’histoire de M. Henri Martin, où l’exposition consciencieuse des faits lui aurait fourni du moins les élémens d’un jugement impartial.

Cependant, si par aventure ce lecteur étranger, au lieu d’être, comme je l’imaginais tout à l’heure, quelque undergraduate d’Oxford ou de Cambridge, était quelque student aux longs cheveux d’Heidelberg ou d’Iéna, imbu des principes du kulturkampf et de la gallophobie, qui forment aujourd’hui le fonds de l’éducation allemande, n’éprouverait-il pas un sentiment bien différent de celui que je viens de supposer, un sentiment de joie et d’étonnement railleur ? « Quoi dirait-il, c’est là ce qu’on appelle en France un historien national ! Cet écrivain qui sur quarante années de labeur en a consacré trente à décrier le passé de la France aux yeux de ses enfans, cet iconoclaste dont l’ardeur furieuse n’a épargné avec regret que deux ou trois images nationales, c’est le même homme auquel on vient de faire ces pompeuses funérailles ! Une foule nombreuse et recueillie s’est pressée sur le passage du cortège, et a salué sa dépouille comme celle d’un grand citoyen. Les corps constitués de l’état se sont rendus officiellement à ses obsèques. La jeunesse y a délégué ses représentans. De graves orateurs ont pris la parole sur sa tombe, et n’ont point cru devoir mêler à leurs éloges les restrictions qui étaient peut-être au fond de leur pensée. Bien plus, sur son cercueil même on s’est inspiré de son exemple, on a injurié encore la France du passé en distinguant « entre la France puissante et vraie, la France du peuple, et la France théâtrale de gentilshommes oisifs, à genoux autour d’une idole, » comme si dans la dernière guerre hommes du peuple et gentilshommes n’étaient pas tombés côte à côte sous nos coups. Mais ce peuple a donc perdu