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fantaisie qui en avançant caractérise de plus en plus sa méthode, Michelet a tiré un grand parti de documens peu connus avant lui et qui ont été détruits depuis : les archives de la Seine, qui contenaient les procès-verbaux de la commune de Paris, et les archives de la préfecture de police, qui contenaient les procès-verbaux des sections. A l’aide de ces documens, Michelet a su faire pour le peuple révolutionnaire de Paris ce qu’à l’aide des documens trouvés dans les archives nationales il avait fait autrefois pour le peuple du moyen âge : raconter ses passions, ses souffrances, ses terreurs et ses accès de férocité. Michelet possédait à un haut degré l’instinct de la foule, le sens de l’émeute. Les quelques pages où il retrace l’arrestation de Louis XVI à Varennes, les sentimens mélangés des paysans qui se trouvent pour la première fois en présence de ce personnage mystérieux, le roi, leurs impressions contradictoires de respect, de colère, de pitié, puis le lent retour de la famille royale, la halte à Meaux, dans le palais de Bossuet, la rentrée dans Paris, tout ce récit est vraiment une page de grande histoire. Il faut y ajouter la peinture de la vie des clubs au début de la révolution, les feuillans, les jacobins, les cordeliers, et celle de ces derniers mois d’affaissement, d’effroi et d’insouciance qui ont précédé le 9 thermidor et qui ont gardé le nom de terreur ; mais quelques chapitres épars ne sauraient suffire pour sauver l’Histoire de Michelet, et, aux yeux de ceux qui joignent au scrupule de la méthode le souci de l’équité, elle demeurera toujours à la fois une mauvaise œuvre et une mauvaise action.

Commencée sous la monarchie, continuée sous la république, l’Histoire de la révolution fut terminée par Michelet sous l’empire. Le premier volume avait paru en 1847, le dernier parut en 1853. Durant ce laps de six années, plus d’un événement public et privé était venu changer les conditions d’existence de Michelet. Il avait salué de ses applaudissemens la révolution de février, et il s’était embarqué avec une confiance aveugle dans cette barque mal frétée, sans gouvernail et sans pilote, qui devait en quatre ans conduire la France de la guerre civile au despotisme. Les solennelles naïvetés du gouvernement provisoire lui parurent le dernier mot de la sagesse politique. Il fut attendri et ravi lorsqu’à la fête du 4 mars, donnée en l’honneur des morts de février, il vit flotter aux mains d’Italiens, de Polonais et d’Allemands d’une moralité douteuse « le tricolore vert de l’Italie (alma mater), l’aigle blanc de Pologne, qui saigna tant pour nous, et surtout le grand drapeau du saint-empire, de sa chère Allemagne, noir, rouge et or. » Il était en politique de ces esprits clairvoyans qui croient à la réconciliation des classes par l’amour, et à la fraternité universelle des peuples.