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tous les crimes, et des larmes pour toutes les victimes. Danton ne lui inspire pas moins de compassion que Louis XVI, et le sort d’Anacharsis Clootz l’émeut plus que celui de Madame Elisabeth. Autant qu’au milieu de l’incohérence des idées et de la confusion du récit on peut saisir le plan général de l’ouvrage, ce plan est celui-ci : tout ce qui a été fait sous la révolution de grand, de généreux, d’utile, est l’œuvre du peuple ; tout ce qui a été fait d’odieux, de burlesque ou de sanguinaire, est l’œuvre de quelques criminels qui ont déshonoré la cause du peuple. Encore craint-il en terminant (c’est là son seul remords) d’avoir été trop sévère « pour les hommes héroïques qui, en 93 et 94, soutinrent la révolution défaillante. » C’est à ce remords qu’il obéit sans doute lorsque, après avoir pendant le cours du récit choisi Robespierre et ses acolytes, pour faire retomber sur leurs têtes la responsabilité de tous les crimes de la révolution, il termine par un récit du 9 thermidor, écrit tout entier à leur glorification. Il proclame Saint-Just « l’espérance dont la France ne se consolera pas, » et Robespierre « un grand citoyen. »

Ce qui peut-être est plus dangereux encore que cette apologie d’hommes sur lesquels le verdict de la conscience publique est prononcé, ce sont les efforts qu’il tente pour dérober à leurs victimes la compassion à laquelle elles ont droit. Il n’est pas d’attentats dont il ne s’efforce d’atténuer l’odieux en rejetant une partie de la responsabilité sur ceux-là mêmes contre lesquels les coups ont été dirigés. Les complots royalistes sont toujours là pour tout expliquer. Avec quel soin il détaille les actes de cruauté dont l’exaspération de la guerre civile a pu rendre les Vendéens coupables, et dont il a pu retrouver la trace, grâce aux minutieuses investigations entreprises par lui dans les archives de la ville de Nantes ! Avec quelle ostentation, au contraire, il met en relief les rares mouvemens de courage ou d’humanité qui ont traversé l’âme des féroces acteurs de ce long drame de la terreur ! Il s’attendrit aux niaises démonstrations de sensibilité dont les hommes de la révolution étaient si prodigues dans leurs discours et si avares dans leurs actions. Il s’émeut à propos d’une somme de 1,000 francs qui fut réclamée (et jamais employée sans doute) par le cordonnier Simon pour la réparation d’une cage d’oiseaux dorés,, destinés à l’amusement du petit Capet ; mais il résume en trois lignes le procès de la reine : « La reine fut expédiée en deux jours, 14 et 15 ; elle était coupable, elle avait appelé l’étranger. »

Cette partialité poussée jusqu’au cynisme enlève toute valeur historique à une œuvre qui n’est cependant pas dénuée de ces qualités natives dont Michelet a eu tant de peine à se débarrasser tout à fait : l’imagination et la vie. Avec ce singulier mélange d’érudition et de