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l’anthropologie est une science démesurément vaste, et qu’elle fait appel à toutes les connaissances humaines. L’archéologie, la géologie, l’histoire, la géographie, l’anatomie comparée surtout, doivent lui fournir les élémens indispensables. Tout récemment, dans cette même Bibliothèque des sciences contemporaines qui nous donne le livre de M. Topinard, on a montré que la linguistique était féconde en applications imprévues à la science anthropologique. Aussi notre prétention n’est-elle ni d’analyser un livre qui est lui-même un résumé, ni même d’énumérer les questions fondamentales qui y sont traitées. Il nous suffira d’en indiquer quelques-unes, et on pourra se rendre compte de tout le vaste espace qui reste encore à parcourir aux anthropologistes de l’avenir.

Quel est au juste l’âge de l’homme ? Est-il le dernier venu sur la terre, et nous faut-il admettre les mythes qui lui assignent une origine toute récente et presque historique ? Cuvier, qui avait défendu cette interprétation étroite de la Genèse, serait aujourd’hui seul de son avis, parce que, même parmi les plus fervens catholiques, il n’est plus question de compter à l’ancienne manière les années qui séparent Adam d’Abraham. Ces années ont dû être des siècles. Il y a quelques jours, M. Emmanuel de Rougé a annoncé en son nom et au nom de M. Chabas, qu’on pouvait connaître exactement l’âge de la troisième pyramide. Cette pyramide fut construite par Menkèrès, le Mycérinus des Grecs, et on a lu dans les hiéroglyphes que, pendant la neuvième année du règne de Menkèrès, au moment de la construction de la pyramide, une certaine étoile avait apparu dans une position déterminée. Un calcul astronomique fort simple, paraît-il, donne l’année correspondant à la position de l’étoile ; or les astronomes ont trouvé que c’était l’année 3,007 ou 3,010 avant Jésus-Christ. Comme la première pyramide fut bâtie 900 ans avant la troisième, il faut nécessairement assigner à la plus vieille des pyramides une existence de 4,000 ans avant notre ère. C’est l’antiquité la plus reculée que l’on puisse apprécier par des moyens scientifiques. Ainsi déjà à cette époque les Égyptiens avaient une civilisation prodigieuse, ils connaissaient l’astronomie, l’écriture, l’architecture, et ces monumens merveilleux que nous admirons encore ont, non pas quarante, mais soixante siècles derrière eux.

Il n’entrera dans la pensée de personne de regarder ces civilisations avancées comme le début de l’humanité. Que de temps, que d’efforts il lui a fallu pour arriver à mesurer le cours des astres, et tracer des figures sur le granit ! Nous ne saurions nous en faire une idée, si nous n’avions les témoins irrécusables de ces premiers travaux et de ces ébauches longtemps infructueuses. Les poètes latins nous ont conservé la tradition d’un âge de pierre, et la tradition est devenue de l’histoire. Depuis que M. Boucher de Perthes a recueilli à Saint-Acheul des instrumens de l’homme primitif, on connaît l’âge de pierre et l’on en peut