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Deux-Sèvres, après avoir conquis dans l’ouest une renommée d’avocat et avoir été un des délégués de la défense nationale au lendemain du 4 septembre, il avait pris bientôt dans la dernière assemblée une importance réelle, non-seulement par un éclat de parole qu’il n’a révélé que peu à peu, mais par la facilité de son caractère, par la modération de ses idées, par un sentiment très vif des circonstances. Il avait l’esprit ouvert, une nature cordiale, et sous une enveloppe un peu forte, il ne manquait pas de finesse. M. Ricard a été de ceux qui ont contribué à rendre la république possible, qui en ont préparé l’avènement légal et définitif, en se prêtant aux transactions dont la constitution de 1875 a été le prix, et il ne la comprenait lui-même du reste que comme un régime conservateur offrant toutes les garanties aux intérêts sociaux et nationaux du pays. Il voulait une république régulière, libérale, conciliante, non une république révolutionnaire, agitatrice et exclusive. Aussi s’est-il trouvé assez naturellement désigné pour participer au gouvernement le jour où les élections du 20 février ont nécessité la formation de ce qu’on pourrait appeler le ministère de la république constitutionnelle incontestée. Il avait échoué, il est vrai, aux élections. Celui qui avait été un des ouvriers du nouveau régime constitutionnel n’appartenait à aucune des deux chambres lorsqu’il était appelé au ministère de l’intérieur. C’est le sénat qui lui avait rendu un siège au parlement, confirmant ainsi la confiance que M. le président de la république avait mise en lui. Déjà à ce moment il était atteint profondément par le mal qui l’a vaincu. Il avait cru retrouver la santé en allant prendre quelques jours de repos dans son pays, à Niort. A peine rentré à Paris, il a été terrassé en quelques instans.

M. Ricard n’avait que deux mois de pouvoir, et encore sur ces deux mois avait-il été quinze jours absent. Il avait eu tout au plus le temps de se reconnaître. Il avait entrepris et à demi réalisé une révision du personnel administratif, qu’il se disposait à compléter ; il avait écrit quelques circulaires. Évidemment il n’avait pas encore donné la mesure de ses facultés ministérielles. Qu’aurait-il fait s’il avait vécu ? Il avait une bonne volonté sincère, il s’essayait sérieusement, sans précipitation fiévreuse, à la direction des affaires. Il se préoccupait surtout d’une condition vitale du régime actuel, qui est de faire marcher ensemble des pouvoirs divers, et si M. le président de la république lui témoignait de la confiance, il la méritait par sa loyauté. Son honneur est de n’éveiller que des regrets affectueux, et ce sentiment universel d’une destinée prématurément, cruellement, interrompue, de laisser après lui cette idée, qu’il avait tout ce qu’il fallait pour réussir, pour s’élever à la hauteur du rôle que les circonstances lui avaient réservé. Il espérait lui-même servir utilement la cause du libéralisme, conservateur, il se disposait à entrer résolument dans les prochains débats des chambres. Ce n’est qu’use espérance évanouie, trompée par la mort ! Comment le ministre