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crescendo, n’a pas son égal au théâtre : trois chœurs manœuvrent devant vous à la fois, distincts et confondus en un seul, distincts parce que chacun a son motif, confondus parce que chacun de ces motifs particuliers va se combiner et se perdre dans le formidable tutti. C’est d’une coloration, d’un mouvement, d’une audace à vous éblouir ; mais cet admirable morceau, si original qu’il puisse être, n’en conserve pas moins la coupe du finale italien, et c’est bien là ce dont je lui sais gré. Croyez-vous qu’un génie, si magnifiquement doué qu’il soit, arrive du jour au lendemain par le seul acte de son inspiration subjective à produire de tels effets ? Dans ce finale, conception superbe, il y a deux choses : les idées, l’impulsion musicale et dramatique qui n’appartiennent en propre qu’à Verdi, et la forme dans laquelle ces idées et ce drame se meuvent, la coupe et les grands plans d’architecture, héritage des siècles et du pays de Dante, de Palestrina, de Pergolèse, de Cherubini et de Rossini. Je voudrais bien savoir comment M. Gounod s’y prendrait pour écrire une page de ce relief dans « cette forme directement issue de l’émotion » qu’il préconise en théorie et qui nous a valu en pratique les tirades sans fin de Roméo et Juliette et les vagues mélopées de Faust ; mais revenons à la question et prenons l’adorable duo entre Amnéris et Radamès au quatrième acte. Quel autre qu’un Italien de race trouverait cette inspiration, et, l’ayant trouvée, la formulerait ainsi d’un style net, solide, lumineux comme le cristal de roche ? En dehors du morceau que je cite, les beaux duos foisonnent : au premier acte, duo entre Amnéris et Radamès se terminant en trio à l’entrée d’Aïda ; au second, duo tragique entre les deux rivales, plein d’énergie, de pathétique, où reparaît, au milieu des colères jalouses de la fille du roi et du déchaînement de ses menaces contre la pauvre esclave éthiopienne, une phrase divinement élégiaque entendue dans le prélude symphonique servant d’ouverture : Amore, amore ! et que vous respirez chaque fois comme l’émanation mélodieuse de ce caractère ; enfin le duo du dénoûment avec sa strette passionnée. — Le jeune chef des armées égyptiennes, Radamès, condamné à mort pour crime de haute trahison, est enterré vivant ; mais dans le caveau funèbre où l’infortuné doit subir son supplice, Aïda, furtivement, s’est glissée et vient recueillir les derniers soupirs de son amant et mourir avec lui. Par le fait, c’est bien un duo, puisque nous avons là devant nous un drame musical à deux personnages, mais prenons garde que le décor est à compartimens et qu’au-dessus du caveau s’ouvre à nos yeux le temple de Phtah ruisselant de lumières et d’harmonies sacrées. Nous avons donc affaire, on le voit, à l’un de ces violens effets de contraste que l’auteur du Miserere du Trovatore et du quatuor de Rigoletto s’entend mieux que personne à gouverner. Les cantiques d’en haut se marient aux voix plaintives d’en bas ; cependant ni la curiosité du spectacle, ni les complications harmoniques, ne détournent l’intérêt de ce qui se passe à l’étage inférieur. Après quelques mesures