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Huguenots, que la gloire le prit.. Verdi au contraire n’a pas attendu, il n’a même point failli attendre : la renommée est venue à lui tout de suite et sans l’ombre d’hésitation. Du jour de son début à l’heure présente, la faveur du public ne s’est pas démentie un instant, se passionnant tour à tour en 1843 pour les Lombardi, en 1850 pour Rigoletto, en 1874 et 1876, pour la messe de Requiem, et le splendide ouvrage que le théâtre italien vient de représenter. Autant d’évolutions, autant de crises dont l’Europe entière s’est occupée. Les premières variations de Meyerbeer eurent lieu dans la plus complète obscurité. Chez Verdi, nous comptons déjà trois manières, dont pas une n’aura passé inaperçue. Une énergie extraordinaire de tempérament, l’accent dramatique et mélodramatique au plus haut degré, l’entraînement et trop souvent aussi la frénésie dans la passion, avec cela les grands partis-pris dans les masses, des trios magnifiques, des finales qui vous électrisent toute une salle, — voilà pour la physionomie du Verdi de la première manière en réaction contre les vaines élégances du rossinisme, contre l’énervante morbidesse de Bellini, pour le Verdi de Nabucco, d’Ernani, de Macbeth, de Loïsa Miller et des Masnadieri. « Verdi est une rude pilule à avaler pour la critique de parti-pris, — remarque un très-judicieux écrivain viennois, M. Hanslick[1], pour cette critique qui, placée en face d’un compositeur puissant et populaire, aime mieux nier carrément que d’aller y voir. » Rigoletto, la Traviata et surtout Un Ballo in maschera caractérisent une nouvelle période où l’influence française se fait sentir à certaine recherche du détail, à certains raffinemens d’exécution, à l’étude moins négligée de l’expression dramatique. Cependant les principes du wagnérisme se sont répandus de par le monde, la musique de l’avenir et la mélodie continue ont posé bruyamment leurs conclusions. À ce moment (1867) arrive Don Carlos, œuvre de transition, œuvre amphibique, étrange composé de cantilènes italiennes et de récitatifs prolongés, assemblage des élémens les plus divers, qui nous montre des préoccupations symphoniques, un orchestre chargé, compliqué, se surmenant, et parmi toute sorte d’incohérences, l’admirable finale de l’auto-da-fé et la sublime scène entre Philippe II et le grand-inquisiteur. Un pas de plus, laissez le temps au maître de se retrouver, de se reconquérir lui-même, et vous avez d’abord Aïda, puis la Messe pour Manzoni.

Cette Aïda, que Paris enfin vient d’entendre, tient une place a part dans le répertoire de Verdi : c’est là son œuvre d’art par excellence ; le maître n’a jamais rien écrit de plus fort. Aller au fond d’une pareille composition n’est pas un simple jeu. Comme l’Isis égyptienne dont elle

  1. Notons au passage un fait bien significatif : la pédante Allemagne, longtemps hautaine et rogue, et ne voyant aucune différence entre les opéras de Verdi et ceux de Mercadante ou de Pacini, à partir de Rigoletto changea de gamme, et maintenant s’est mise sur le pied de ne parler de l’auteur d’Aïda et de la Messe qu’avec toutes les déférences esthétiques et comme il sied de parler des maîtres.