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REVUE MUSICALE

Il y a au théâtre des sujets qui sont toujours à faire ou à refaire : Jeanne d’Arc est de ce nombre. Qui relèvera le catalogue des pièces écrites sous l’invocation de la pucelle de Domremy, drames, opéras, pantomimes ? Soumet en fait une tragédie classique, Schiller une tragédie romantique, laquelle ne serait même, à proprement parler, qu’une éblouissante féerie. Jamais l’histoire ne fut si complaisamment traitée ; un étranger seul pouvait se permettre de pareilles licences, disons mieux, de pareils sacrilèges envers la plus illustre et la plus sainte de nos chroniques nationales. « Je vous répète que je n’ai rien fait que du commandement de Dieu et que je n’ai jamais tué personne. » Celle qui dans le procès s’exprime ainsi est travestie en amazone de la Jérusalem du Tasse, on la voit batailler et se démener furieusement, elle tue en virago Mongommery dans une lutte corps à corps, s’élance l’épée haute contre le chevalier Lionel, dont le casque sous le choc jaillit en éclats, et la voilà qui soudain, en apercevant les traita de son jeune et brillant adversaire, la voilà qui devient amoureuse et succombe à l’insolation foudroyante, ni plus ni moins que Juliette quand elle aperçoit Bornéo. Alors sa damnation commence ; à ces voix qui venaient du ciel succèdent les voix de la passion, qui viennent de l’enfer : comme elle fut naguère possédée de Dieu, elle se sent désormais possédée du démon ; après l’illuminisme le sortilège, et, pour que personne n’ignore la confusion de sa pauvre âme et de son pauvre esprit, elle se dénonce elle-même. C’est d’abord Agnès Sorel qui reçoit sa confidence, puis le roi, puis ses sœurs, puis tout le monde ; si bien que, chassée, honnie et mise au ban, l’infortunée erre à travers bois pendant l’orage et ne trouve d’abri que dans une hutte de charbonniers, d’où presque aussitôt elle est expulsée, car le fils qui revient du camp la reconnaît. « Chère mère, que faites-vous ? à qui donnez-vous l’hospitalité ? C’est la sorcière d’Orléans I » N’admirez-vous pas la pente tout allemande que prend ici la chronique française ? On songe involontairement à Geneviève de