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de l’enveloppe terrestre, comme l’enseigne la géologie classique, ou qu’elles soient le résultat de mouvemens lents et progressifs, suivant le dire des partisans de l’évolution, l’homme aurait vécu à une époque où les continens avaient une forme bien différente de celle qu’ils présentent aujourd’hui. Il y aurait eu alors une grande île entre l’Europe et l’Amérique, l’Atlantide, dont Platon parle quelque part. Sur cette île, qui était une des plus belles régions du monde, vivait un peuple instruit et civilisé auquel les Chaldéens et les Égyptiens, de même que les habitans préhistoriques de l’Amérique centrale, auraient emprunté la majeure partie de leurs connaissances. On s’expliquerait par là que l’usage de bâtir des pyramides se retrouve en Amérique comme sur les bords du Nil, qu’il y ait des traditions et des mœurs communes entre des peuples que sépare l’Atlantique. Les indigènes des Canaries, vulgairement appelés Guanches, seraient les derniers survivans des Atlantes. Par malheur, cette belle hypothèse ne repose que sur les plus vagues indications. Le gouffre profond dans lequel descend la sonde entre les Canaries et les Açores ne décèle aucun vestige d’un continent disparu. La linguistique ne se prête à aucun rapprochement entre nos idiomes et ceux du Nouveau-Monde.

Il est d’autres savans qui veulent tout simplement que les Américains primitifs aient été des autochthones, enfans de leurs propres œuvres, à qui la civilisation de nos ancêtres n’aurait rien donné ni rien emprunté. L’Amérique aurait été un centre de création. « Dieu a créé des mouches en Amérique, a dit Voltaire, il a bien pu y créer des hommes. » Des écrivains plus sérieux observent simplement que la présence de l’homme et des animaux utiles s’explique à la rigueur par une migration, mais que cette explication est en défaut pour les animaux nuisibles. Les Américains se seraient alors développés à l’écart ; seuls, ils auraient trouvé le langage, découvert les arts utiles, conçu des mythes, établi des lois morales ou politiques, et tout cela cependant aurait une certaine analogie avec les institutions similaires des citoyens de l’ancien monde parce que l’homme, toujours semblable à lui-même, a partout les mêmes idées, aboutit partout aux mêmes résultats.

Ne nous amusons pas trop longtemps sur de vaines spéculations. Rien ne nuit plus aux progrès des sciences que d’y introduire des thèses chimériques. Constatons, comme on l’a fait au congrès de Nancy, qu’il n’y a rien que de douteux dans les origines américaines et que la seule méthode efficace pour résoudre ces énigmes consiste à comparer des faits, à discuter des observations sans jamais y apporter de parti-pris.


H. BLERZY.