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en lui donnant ce palais, le plus beau de la ville après le sien, orné, selon le goût du XVIIIe siècle berlinois, de colonnes et de pilastres corinthiens, situé au plus bel endroit de l’avenue « sous les Tilleuls,  » auprès de la bibliothèque, de l’arsenal, où sont réunis les trophées des victoires prussiennes, à quelques pas enfin du propre palais des rois de Prusse ! C’était un infaillible moyen d’attirer sur l’institution l’attention des indifférens et le respect de la foule.

Sur la dotation de l’école nouvelle, il y eut de longs débats. Humboldt aurait voulu que l’université reçût en don perpétuel des domaines qu’elle administrerait elle-même, afin « qu’une entière liberté fût assurée à la conviction scientifique. » Les savans étaient de son avis. Le roi et le ministre des finances y inclinèrent d’abord ; mais il se trouva des difficultés d’exécution qui durèrent tout le temps que Humboldt dirigea l’instruction publique. Les politiques firent alors des objections, qui parurent très graves au roi, et la décision fut prise contrairement aux vœux de Humboldt, sous un de ses successeurs, Schukmann, qui fut plus soucieux des droits de l’état que de l’indépendance « de la conviction scientifique. » Schukmann pria le chancelier Hardenberg de décider s’il convenait de rendre les établissemens scientifiques à tout jamais indépendans de l’état et indifférens à la constitution et à la dynastie, s’il fallait mettre le droit idéal et cosmopolite du savant au-dessus des obligations positives du citoyen envers le roi et envers ses concitoyens. Personne, dit-il, ne peut deviner l’avenir, car l’esprit du temps flotte au gré des théories les plus diverses ; mais la liste des pensions montre que celui qui satisfait les besoins des estomacs a de solides garanties contre le travail des têtes. Fallait-il abandonner ces sûretés dans l’aveugle confiance que la raison dominerait jusqu’à la fin des siècles ? « Je sais bien, disait le directeur de l’instruction publique, que ce sont là de très vulgaires pensées, et qu’on les peut présenter comme telles, en les comparant à la belle maxime que la libre éducation scientifique est le but le plus élevé de la destinée humaine. Je suis plein de respect pour cette belle maxime, mais je garde mon opinion. » Il la fit même prévaloir ; du moins la dotation pécuniaire annuelle fut-elle convenable, car l’université figure au budget des établissemens scientifiques, dès sa première année, pour 54,146 thalers, c’est-à-dire pour environ 204,000 francs. Si l’on tient compte de l’état misérable des finances prussiennes, et si l’on ajoute que le produit des rétributions scolaires était entièrement réservé aux professeurs, il faut convenir que la Prusse dépensait ainsi dans des années de malheur pour une seule école d’instruction supérieure à peu près autant que notre riche pays dépense pour tous ses établissemens de même ordre réunis.