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les courages. Il opposait le génie germanique à l’esprit néo-latin, vantait les qualités de la langue allemande, la force de travail du peuple allemand, le grand service que, par deux fois, il a rendu à l’humanité en délivrant le christianisme de l’esclavage des formes catholiques et en rapprenant au monde la liberté philosophique de penser qu’il avait oubliée depuis l’antiquité. Puis il demandait s’il y avait encore un peuple allemand, si ce peuple se reconnaissait dans le miroir qu’il lui mettait sous les yeux, s’il n’avait point envie de redevenir ce qu’il avait été jadis, et quel moyen il y faudrait employer. « Oui, s’écriait-il, il y a un moyen d’entrer dans le monde nouveau, c’est l’éducation, c’est-à-dire l’art de former dans l’homme une ferme et infaillible bonne volonté ! Pour que nous ne soumettions pas notre esprit, faisons-nous un esprit solide et assuré ! Que chez nous la pensée et l’action soient d’une seule pièce et forment un tout inséparable, alors nous serons ce que sans cela nous nous contenterons toujours de devoir être, — des Allemands. » Ce qui ajoutait à l’âpre saveur de ces discours, c’est que les disciples de Fichte pouvaient tout à la fois entendre parler le maître et les tambours français résonner dans la rue. Fichte avait conscience du danger qu’il courait, et même il était porté à s’exagérer son héroïsme. Ce n’est point que l’autorité française ne surveillât ses collègues et lui. Pour des discours où il exhortait ses ouailles à résister de toutes leurs forces « aux attaques du mauvais,  » le pasteur Schleiermacher fut cité devant le maréchal Davoust ; mais Davoust se contenta de l’appeler « tête ardente,  » et, après lui avoir recommandé d’être plus circonspect, sous peine de châtiment, il le renvoya chez lui. Schmalz, pour une « adresse aux Prussiens,  » fut signalé comme dangereux au maréchal, qui le fit arrêter, mais le remit en liberté très peu de jours après, attendu que les charges n’étaient pas suffisantes. Une semaine plus tard, les troupes françaises quittèrent la ville sans que Fichte eût été même inquiété. Il semble que cela contrarie les Allemands, qui lui voudraient mettre en mains la palme du martyre. L’auteur de l’histoire. de l’université de Berlin, M. Köpke, la lui donne sans marchander, car voici comme il parle de la mort du grand orateur, qui advint en 1814, pendant la guerre d’indépendance : « La mort saisit aussi Fichte, au chevet de sa femme, qui, après avoir soigné avec une infatigable charité les blessés et les malades dans les lazarets, fut atteinte d’une fièvre typhoïde. Comme elle entrait en convalescence, Fichte, gagné par le mal, s’alita ; il était dans un état désespéré quand il apprit que nos armées avaient victorieusement passé le Rhin, et il mourut, comme il avait vécu, pour la patrie. » On conviendra que voilà une nouvelle espèce de martyre, le