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La création d’assemblées où sont représentées toutes les classes de la nation a naturellement enlevé aux assemblées particulières de la noblesse la plupart de leurs prérogatives ; mais, dans ces nouveaux états provinciaux, dans le zemstvo de district ou de gouvernement, la noblesse a d’ordinaire gardé la prépondérance. C’est, comme nous le verrons, au maréchal de la noblesse qu’appartient de droit la présidence de ces réunions des diverses classes ; ce sont les propriétaires fonciers, les anciens seigneurs de serfs qui, par le nombre ou la situation, y ont une influence prédominante. En réduisant ses privilèges directs, l’extension des libertés publiques a même élargi la sphère d’activité du dvorianstvo. Personne ne lui conteste le titre de classe dirigeante, et quinze ans à peine après les réformes qui l’ont dépouillé de ses anciennes prérogatives, certains conseillers de la couronne semblent le convoquer à un rôle plus étendu, si ce n’est plus efficace. Dans ces derniers temps, depuis la guerre de 1870 et la commune de Paris, les attributions de la noblesse se sont multipliées avec les institutions mêmes : une place lui a été réservée dans la plupart des créations nouvelles. Le gouvernement lui a fait appel à un double titre, comme à la classe cultivée et à la classe conservatrice. En une seule année, en 1874, un rescrit impérial l’invitait solennellement à se constituer la gardienne de l’enseignement populaire ; des ukases lui assuraient la présidence des conseils scolaires, des conseils de révision militaire et de la régence de district pour les affaires des paysans. Qu’adviendra-t-il de ce concours demandé à la noblesse ? Que seront ces fonctions nouvelles dont elle vient d’être investie dans la personne.de ses maréchaux élus ? Sont-ce là des prérogatives effectives, ou de simples marques d’honneur, d’autant plus inoffensives que le dvorianstvo s’est toujours montré moins pressé ou moins capable d’user de semblables droits ? Une réponse à cette question semblerait peut-être prématurée ; mais dès aujourd’hui, et avant même d’attendre l’expérience, il est un point hors de doute : les droits récemment concédés à la noblesse peuvent exciter les regrets des uns et la joie des autres, ils ne pourront transformer le caractère séculaire du dvorianstvo. Quels qu’ils soient et quelque agrandis qu’ils puissent être, de tels privilèges ne suffiront pas à faire dévier le mouvement historique de la société russe. A cet égard toute appréhension est vaine et toute espérance est une illusion.

L’examen du présent et l’étude du passé conduisent à la même conclusion. Il y a en Russie une sorte de noblesse ; il n’y a point d’aristocratie, et ce n’est pas de nos jours qu’il s’en peut créer une. Il y a une noblesse qui, prise dans ses grandes familles, est