Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordres impériaux. On compte en Russie cinq ou six de ces ordres de chevalerie, les uns plus, les autres moins recherchés, la plupart divisés en plusieurs classes ou catégories. Il y a l’ordre de Saint-André, l’ordre de Sainte-Alexandre Nevski, l’ordre de Sainte-Anne, l’ordre de Saint-Vladimir, l’ordre de Saint-George, sans compter les ordres polonais devenus russes de Saint-Stanislas et de l’Aigle-Blanc. Il y a même une décoration spéciale aux femmes, la croix de Sainte-Catherine. En outre du tchine et des ordres de chevalerie, la Russie possède encore toute une série de distinctions mondaines qui, à force d’être prodiguées, ont leur lustre quelque peu terni. Ce sont les charges de cour, graduées et échelonnées comme le tableau des rangs et, comme les titres du service civil, devenues le plus souvent purement honorifiques et nominales. En aucun pays, les moyens de classer les hommes, les moyens de marquer et pour ainsi dire de primer le mérite ne sont aussi nombreux, aussi variés ; si les fruits n’en sont pas plus abondans, cela ne tient qu’à la stérilité naturelle de ce régime de protectionisme moral.

Dans une pareille classification la science et l’instruction, qui ont toujours été un des soucis du gouvernement impérial, ne pouvaient pas ne pas avoir leur place. Les grades universitaires confèrent un tchine, l’examen de sortie du gymnase, collège destiné à l’enseignement secondaire, donne droit à la classe inférieure. En entrant à l’université, l’étudiant a déjà ainsi le pied sur l’échelle, et chaque diplôme lui en fait monter un échelon. Le travail ouvrant l’entrée du tableau des rangs, et par suite l’accès des places et de la noblesse, on pourrait dire que le rang dépendant du grade et le grade de l’instruction, toute la hiérarchie russe n’est que la hiérarchie du travail et de l’étude, et la noblesse qui en sort la noblesse de l’instruction et de la culture. Tel est le raisonnement des apologistes des quatorze classes ; c’est par là en effet que le tchine se justifie, ou mieux se justifiait dans le passé. Une pareille méthode de classement, bonne dans une école de jeunes gens ou dans une carrière déterminée, n’en garde pas moins les inconvéniens de toute hiérarchie artificielle appliquée à une société entière. De semblables tentatives de distribution des hommes et des mérites en des cases bornées et numérotées, ont toujours manqué leur but et dû être promptement abandonnées ; là où par malheur elles ont semblé réussir, ce n’a été qu’en enfermant la société entre d’incommodes cloisons. A la hiérarchie du tchine russe on peut citer quelques pendans en Asie, dans la Chine et la Turquie par exemple ; on peut même dans l’Europe moderne trouver quelques institutions plus ou moins analogues, comme la noblesse et la Légion d’honneur de Napoléon Ier. Cette dernière était, dans sa conception originaire, fort semblable au tableau des rangs de Pierre Ier. Le promoteur