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lithuanien, polonais, suédois, allemand, parfois même du sang anglais ou français. Toutes les tribus soumises au sceptre des tsars et tous les peuples voisins de l’empire ont apporté leur contingent au dvorianstvo. Par ses origines comme par ses mœurs, par sa composition comme par son éducation, la classe la plus élevée est aussi la classe, la moins nationale du pays ; de là, pour elle, une autre cause de faiblesse, une autre raison de son peu d’influence.

Entre toutes ces familles étrangères de provenance ou décorées de titres dont le temps n’a pas rehaussé l’éclat, les vieux kniazes, les princes qui, descendent en ligne directe des souverains russes, paraissent devoir occuper une place à part. Il semble que dans ce pays fondé et si longtemps régi par leurs ancêtres, ces héritiers de la dynastie de Rurik offrent un élément aristocratique indigène auquel une illustration séculaire assure un rôle considérable. Aucune aristocratie de l’Europe n’a une plus haute ou plus lointaine noblesse. « En Russie, disait un jour M. de Talleyrand, tout le monde est prince. » Cette opinion du ministre de Napoléon est encore fort répandue en Occident. Rien cependant n’est plus faux. Après l’afflux de tant d’étrangers, après tant d’anoblissemens de toute sorte, le nombre des familles princières ne dépasse guère, dans cette immense Russie, le chiffre de soixante, et encore plus de la moitié provient-elle d’une seule souche, de Rurik. Les anciens états du pape étaient peut-être aussi riches en maisons princières, la seule ville de Rome en comptait une trentaine. De cette noblesse de kniazes, les descendans des anciens souverains et des chefs locaux de la Russie forment encore aujourd’hui environ les deux tiers. Près de quarante de ces familles de princes remontent à Rurik, le fondateur de l’empire russe, et à saint Vladimir, l’apôtre de la Russie ; ce sont les agnats des vieux tsars moscovites, et ainsi les représentans de la dynastie qui régna sur leur patrie, du IXe siècle à la fin du XVIe. Cette féconde maison de Rurik, probablement la race souveraine la plus nombreuse que mentionne l’histoire, comptait, il y a un siècle ou deux, près de deux cents branches diverses. Beaucoup n’ont plus de rejetons vivans, quelques-unes ont abandonné ou perdu le titre de kniazes. Un autre groupe, composé de quatre familles russes et de quatre polonaises, provient d’une tige non moins illustre, et, aux yeux des Russes, presque aussi nationale : ce sont les descendans de Guédimine et de l’ancienne maison souveraine de Lithuanie, connue en Europe sous le nom de Jagellons, et qui, avant de monter sur le trône de Pologne, régnait sur toute la Russie occidentale. De Rurik et de la première dynastie russe sont issus les Dolgorouki, les Bariatinski, les Obolenski, les Gortchakof ; de Guédimine et de la dynastie lithuanienne, les